En 2022, les écarts de compétitivité entre les cinq pays européens suivis depuis 2011 par l’Ifip (France, Allemagne, Danemark, Espagne et Pays-Bas) se sont resserrés.
INTRODUCTION
Depuis 2011, l’Ifip conduit à l’intention d’INAPORC un observatoire de la compétitivité des filières porcines des cinq principaux producteurs de l’Union européenne : France, Allemagne, Danemark, Espagne et Pays-Bas.
Cette édition portant sur les résultats de 2022 est financée par INAPORC. Cet observatoire s’appuie sur la collecte de données statistiques et d’entreprises et couvre de nombreux aspects de la compétitivité des filières porcines, de l’alimentation animale jusqu’à la consommation. Un indicateur synthétique de la compétitivité des filières porcines est calculé pour chacun des cinq pays, réparties en 8 thèmes : macroéconomie, alimentation animale, performances des élevages, dynamique de la production, performances des entreprises de l’aval, commerce internationale, dynamique de la consommation et l’organisation des filières. Chaque variable est convertie en un score utilisé pour établir un indicateur synthétique et une hiérarchie de la compétitivité des filières porcines des cinq pays. Le thème « organisation des filières » analyse de manière qualitative l’organisation de la filière des pays étudiés. A partir de l’édition 2020, une refonte des indicateurs s’est opérée, apportant quelques évolutions par rapport aux éditions précédentes. Les indicateurs sont décrits dans le Tableau 1 de l’article précédent, intitulé "Variables de l’indicateur de compétitivité des filières porcines".
I. 1. THEME 5 : DYNAMISME DE LA PRODUCTION
En 2022, le marché de l’Union européenne (UE-27) a été touché par une forte dégradation de la rentabilité financière en élevage (Le Clerc, 2023). Les éleveurs ont dû faire face à la crise des matières premières et l’explosion des coûts de production. La production porcine de l’UE-27 s’est ainsi largement contractée (-3,8 % en un an). Entre inflation sur l’ensemble des maillons et repli des volumes produits, la compétitivité des filières européennes a été lourdement impactée. Parmi les principaux pays producteurs, l’Allemagne a enregistré un décrochage très fort de sa production. La croissance espagnole a été mise à l’arrêt et le marché français a perdu plus de 4 % de son cheptel truies en l’espace de six mois (entre mai et décembre 2022), avec des répercussions immédiates sur la production (Agreste, 2023).
Au sein du marché européen, la plupart des filières porcines ont affiché des baisses de production en 2022, plus ou moins marquées selon les pays (Figure 1). En Allemagne, le marché a perdu tout dynamisme, et la production a chuté de près de 10% en un an. Il s’agit du pays étudié le plus impacté par les crises conjoncturelles, auxquelles se sont ajoutées des crises structurelles majeures liées au renouvellement des générations d’éleveurs, à la contraction des débouchés commerciaux (demande intérieure et export) et aux réglementations nationales plus contraignantes imposées à la filière. La moindre demande en importation d’animaux vivants amplifie les conséquences du recul des cheptels nationaux. Le mouvement est renforcé par un repli des poids de carcasse (poids moyen des porcs abattus).
Au Danemark, la hausse des exportations de porcelets de près de 1 M de têtes équilibre l’indicateur de production intérieure exprimé en nombre de têtes, malgré la chute des abattages. Néanmoins, si la production danoise exprimée en nombre de porcs produits est relativement stable (+0,6% en un an), la chute des poids de carcasse – dynamique commune à la plupart des pays en 2022 – entraine une baisse importante de la production exprimée en tonnage. Ainsi, le dynamisme de la filière danoise porté par le commerce des animaux vivants ne suffit plus, et ce pays est l’un des plus affecté par la décroissance. L’Espagne et les Pays-Bas sont aussi touchés par la baisse de la production, mais dans une moindre mesure. La croissance de la production française se positionne à un niveau intermédiaire, entre celles de ces quatre autres pays.
L’année 2021 sonnait la fin de la croissance pour l’ensemble des 5 pays étudiés, et l’année 2022 a vu une aggravation de la situation dans chacun des pays. Par rapport au rythme tendanciel moyen des dix dernières années, le changement de cadence est abrupt en Allemagne, au Danemark, mais aussi en Espagne. Bien qu’engagée dans une tendance de décroissance depuis plusieurs années, la dégringolade de la production allemande en 2022 est caractéristique d’un marché qui perd en compétitivité. Pour le cas de l’Espagne, la stabilisation de l’offre nationale en 2022 est une rupture nette avec une tendance haussière de production sur laquelle était engagé le pays depuis dix ans. La production espagnole a perdu son dynamisme en 2022. Les marchés français et néerlandais montrent aussi des signaux de ralentissement, mais de manière moins marquée que dans les trois autres pays. Ceci est révélateur de marchés plus résilients face aux crises et donc dotés d’avantage compétitif.
Figure 1 : Evolution annuelle de la PIB exprimée en tonnage (en %)
Source : Ifip d’après données Eurostat
L’indicateur de taux d’auto-approvisionnement a été retenu dans cette analyse car il reflète la capacité apparente d’un pays à répondre aux besoins de sa population par sa propre production (Husson, 2025). Il évolue positivement depuis dix ans pour tous les pays (Figure 2). Toutefois, s’il est resté relativement stable en 2022 en France, en Espagne, au Danemark ou encore aux Pays-Bas, il a été fortement réduit pour le marché allemand. Entre recul massif de l’offre et repli des échanges internationaux, l’Allemagne a éprouvé de fortes répercussions économiques. Toutefois, avec un taux d’auto-suffisance s’élevant à 131%, la perte de compétitivité n’est pas totale. L’Espagne et les Pays-Bas ont vu leur taux d’autosuffisance progresser en 2022, du fait d’une compensation de la baisse des abattages par le recul de la demande internationale, ce qui n’est donc pas lié à une meilleure compétitivité de ces filières.
Figure 2 : Taux d'auto-approvisionnement (%)
Source : Ifip d’après données Eurostat
En résumé, le dynamisme de la production européenne a été fortement ralenti en 2022, en particulier en Allemagne. Le marché néerlandais est parvenu à limiter la baisse du nombre de porcs abattus par rapport aux autres marchés. L’Espagne, en revanche, leader de la production européenne, a perdu de son dynamisme du fait de problèmes sanitaires en élevages rehaussant la mortalité des porcelets, et donc diminuant le nombre de porcs charcutiers à abattre. Par ailleurs, d’autres aléas conjoncturels comme les fortes chaleurs à l’été 2022 ont limité la croissance des porcs charcutiers. Enfin, avec des indicateurs oscillants entre les extrêmes, la France reste positionnée en 2022 dans la moyenne des cinq pays.
I. 2 THEME 6 : COMMERCE EXTERIEUR
En 2022, la demande internationale s’est légèrement contractée, mais elle est restée forte, à des niveaux record juste derrière 2021 et 2020. Environ 19 Mt de viandes et coproduits (graisses, abats, produits transformés) ont été échangés à travers le monde. Ce résultat est en recul par rapport aux années exceptionnelles de 2020 et 2021 (-10% entre 2021 et 2022). Toutefois, les sommets ont été atteints en termes de valorisation des produits du porc. Près de 51 Mds € ont été échangés à travers le monde. Du côté de l’Union européenne, le ralentissement des ventes vers les marchés tiers a été marqué (-15% en un an). La zone a été fortement pénalisée par l’abaissement des achats chinois et le développement des ventes vers le Japon, les Philippines ou encore la Corée du Sud n’a pas suffi à compenser ce repli. Le commerce intra-européen s’est ainsi intensifié en 2022 malgré la baisse de la production (Husson, 2023). Ceci est principalement lié au mouvement de redistribution des produits espagnols dirigés auparavant sur les marchés tiers (USDA, 2023).
Sur cette période, les échanges mondiaux des produits du porc se sont adaptés à ce nouveau contexte international et les dynamiques à l’export sont très hétérogènes entre les pays, mais aussi selon les destinations (Figure 3). En 2022, l’Allemagne souffre toujours de l’embargo imposé par les marchés asiatiques en raison de la présence du virus de la Fièvre Porcine Africaine sur son territoire. Il s’agit du pays le plus marqué par la décroissance (-17%), impulsée principalement par cette fermeture des marchés tiers. Le positionnement du marché allemand sur la scène européenne a été renforcé. Contrainte par la fermeture de nombreux débouchés, l’Allemagne a ainsi conservé un important désavantage compétitif en 2022. Les autres pays ont aussi dû revoir la destination de leurs exportations en 2022 du fait d’une plus forte concurrence menée à l’international par les Brésiliens et les Américains et d’une meilleure compétitivité-prix (Husson, 2023). L’Espagne a été le pays le plus touché, avec une part des exports vers pays tiers qui chute de plus de 7 points en un an, contre 5,5 points pour le Danemark, 6,7 points pour la France et 2,5 points pour les Pays-Bas. L’Espagne et le Danemark sont finalement parvenus à stabiliser la dynamique court terme de leurs exportations grâce à une redistribution des volumes sur le marché intra-communautaire. La France a aussi été pénalisée par la moindre demande des marchés tiers affectant négativement la dynamique de croissance à l’export sur les trois années d’analyse. Finalement, les Pays-Bas se sont positionnés en 2022 comme le marché le plus dynamique depuis ces trois dernières années.
Figure 3 : Croissance de l’export en volume en 2022 / moyenne. 2017-19 (%)
Source : Ifip d’après Eurostat, TDM
Tous produits et toutes qualités confondues, l’Espagne et le Danemark se sont maintenus en tête du classement européen en termes de valorisation (resp. 2,48 et 2,83 €/ kg en 2022). La France a été en retrait par rapport aux autres pays (2,30 €/kg), mais a enregistré une forte progression annuelle du prix moyen des produits du porc exportés (+15%). Bien que cet indicateur pointe une limite de compétitivité globale de la filière française, cette dernière se démarque sur certains segments de marché. Le marché français a tiré son épingle du jeu sur certains produits tels que les produits transformés (5,39 €/kg). Avec l’Espagne (6,87 €/kg) et l’Allemagne (5,34€/kg), ces trois marchés valorisent bien mieux ces produits que le Danemark (3,87 €/kg) ou encore les Pays-Bas (3,36 €/kg). La France et le Danemark valorisent le mieux les abats et voient le prix unitaire de ces produits augmenter assez fortement. En revanche, l’Allemagne est toujours pénalisée par la réduction des possibilités d’exportations vers les marchés asiatiques fortement demandeurs en abats et les valorise difficilement. Le marché est obligé de pratiquer des prix agressifs pour écouler les volumes.
Au détail par type de produits, la part des pièces désossées dans les exportations de viandes espagnoles et néerlandaises a significativement progressé en un an. Ceci a été favorisé par la redistribution des exportations sur le marché intra-européen, avec une demande accrue en produits plus élaborés (Husson et Van Ferneij, 2022). La France reste en bas du classement, et la progression des ventes de désossées est comparativement inférieure. En 2022, la part des abats distribués vers les pays tiers a diminué dans tous les pays en raison de la moindre demande des marchés asiatiques. L’Allemagne a été naturellement le pays le plus affecté. La part des exportations allemandes d’abats vers les pays tiers est passée de 33% en 2021 à 25% en 2022. Le Danemark et l’Espagne ont à l’inverse maintenu des parts de marché significatives (entre 79 et 88%). La France et les Pays-Bas ont envoyé vers les pays tiers environ 70% des volumes d’abats exportés.
La structuration du commerce extérieur de la France place le pays en net retrait en termes de solde commercial, en comparaison aux quatre autres pays européens. Cet indicateur pointe un déficit de compétitivité de la filière. Après une nette progression en 2020 et 2021, le solde commercial français est retombé en deçà du niveau de 2019 à - 273M€ de déficit. A l’inverse, les autres pays étudiés affichent une progression significative de cet indicateur en 2022. La dégradation du solde commercial français se réalise principalement sur certains types de produits, dont les produits transformés, les pièces avec os et les désossés. Même si les importations de produits transformés n’ont pas augmenté en 2022, le prix d’achat moyen à l’import a été plus élevé en 2022 (+12 % par rapport à 2021) que le prix moyen des produits exportés (+ 8 % en un an). Le constat est similaire pour les pièces désossées. Enfin, le marché français a aussi exporté moins de pièces avec os.
Du côté des différents clients des marchés européens, les exportateurs sont confrontés à "l’après-Chine" et à la moindre demande des pays tiers. Ils tentent de diversifier leurs débouchés. En 2021, l’Allemagne avait fortement fait progresser son nombre de clients dans une stratégie de diversification des débouchés. Cet indicateur est de nouveau redescendu en 2022 : le marché allemand, dans une phase de réduction nette de sa production, ne semble pas avoir réussi à conserver de manière durable les nouveaux clients acquis en 2021. L’Allemagne et l’Espagne restent les marchés européens qui ont la plus forte diversification des débouchés. La France et les Pays-Bas se situent à des niveaux comparables. Ces quatre pays démontrent leur capacité d’adaptation, preuve de leur compétitivité. En revanche, le Danemark est resté en retrait : 80% de ses exportations sont envoyées vers seulement huit pays (contre sept en 2021). Du côté de la dépendance aux fournisseurs, l’Allemagne reste le marché le moins dépendant en comparaison au marché français qui s’approvisionne depuis quatre pays pour la majorité de ses importations (80%).
Enfin, la compétitivité des filières porcines a aussi été étudiée aux travers de deux ratios macroéconomiques qui caractérisent de manière structurelle la dépendance aux importations et la dynamique d’exportations par rapport à la production nationale. Le premier ratio est révélateur d’un manque de compétitivité et le second rend compte d’une production compétitive qui parvient à s’ancrer sur la scène internationale. Le Danemark et les Pays-Bas sont deux pays structurellement très dépendants aux importations (>50%), révélateurs des stratégies des industries de la viande. En effet, situées au carrefour des échanges intra-communautaires, ces deux filières se reposent sur les importations de carcasses et pièces avec os pour faire tourner leurs outils de découpe à pleine capacité. Toutefois, les Pays-Bas sont parvenus à réduire sensiblement leur dépendance aux importations en 2022 (-5 points en un an). Le Danemark et les Pays-Bas sont aussi les deux pays qui présentent, de manière structurelle, la plus forte part d’exportations sur l’ensemble de la production nationale, avec un ratio dépassant 80%. Ils approvisionnent d’autres pays européens en porcelets et en porcs charcutiers, mais aussi en pièces de découpe et produits transformés. Pour les cinq pays étudiés, cette part est en baisse en 2022 du fait de la baisse de la demande internationale (Figure 4).
Figure 4 : Evolutions annuelles de la part des exportations / PIB (%)
Source : Ifip d’après Eurostat, TDM
En résumé, la structure des marchés à l’exportation et le positionnement compétitif des cinq exportateurs européens étudiés ont peu varié depuis 2021 (Figure 5), malgré un manque de dynamisme global en 2022 et un marché allemand toujours limité. Certains pays, comme l’Espagne et le Danemark, se distinguent par une meilleure valorisation de leurs produits, tandis que la France présente des résultats hétérogènes selon les segments. Dans un contexte de baisse de la demande chinoise, la valorisation du 5e quartier met en lumière la compétitivité relative de chaque filière, l’Allemagne restant en difficulté alors que le marché français parvient à maintenir ses performances.
Figure 5 : Résultat synthétique des indicateurs de compétitivité à l’export
Source : Ifip
I. 3 THEME 7 : DYNAMISME DE LA CONSOMMATION
Ce thème regroupe 7 variables utilisées dans le scoring et présentées dans le tableur ci-dessous (Tableau 1).
Tableau 1 : Indicateurs utilisés dans le scoring du thème Dynamisme de la consommation, et poids correspondants
Chacune de ces variables est pondérée à dires d’experts en fonction de son importance relative pour expliciter la compétitivité du maillon consommation de chacun des pays.
La compréhension de ce thème ne peut pas être totale, faute d’indicateurs disponibles ou pertinents. En effet, la consommation apparente inclut entre autres les petfoods et utilisations industrielles. Par ailleurs, les données de stocks ne sont pas disponibles.
L’évolution de la consommation apparente s’affiche mécaniquement en hausse en 2022 (Figure 6) : la restauration hors domicile est relancée et les perturbations logistiques à l’exportation durant la période de la crise sanitaire sont terminées.
La France et l’Espagne voient leur consommation croître sensiblement dans un contexte de reprise de la consommation hors domicile. Aux Pays-Bas, la consommation des produits du porc s’érode sensiblement sous la pression gouvernementale qui, en sortie de crise sanitaire, a cherché à encourager la réduction de la consommation des viandes. Les Allemands sont déjà très engagés dans l’adoption d’un régime végétal aux dépens de la consommation des viandes, dont le porc. La part de végétariens et végétaliens s’élève ainsi en 2023 à 12% dont 9% de végétariens et 3% de végétaliens (forsa & BVLH, 2023). Le Danemark, quant à lui, soutient la filière et la consommation des produits du porc dans la mesure où le pays a besoin d’une consommation intérieure dynamique pour asseoir ses capacités d’exportation. Ainsi, le gouvernement a mis en place un programme d’aide financière pour soutenir l’adoption de pratiques en faveur du bien-être animal des porcs en réponse aux attentes de la demande danoise et de la réglementation.
Figure 6 : Evolution de la consommation apparente en porc (Année N / moyenne triennale (%)
Source : Ifip d’après Eurostat, Agreste
Le porc reste la viande la plus consommée dans l’ensemble des pays étudiés, mais la France consomme en proportion beaucoup plus de bœuf que les autres pays. Ainsi, alors que plus de la moitié des viandes consommées est de la viande de porc chez nos concurrents européens, celle-ci ne représente que 37% de la consommation de viandes en France (Figure 7).
Figure 7 : Part de la consommation de porc sur le total viandes en 2022
Source : Ifip d’après Commission européenne
Les plus gros consommateurs de produits du porc restent les Danois, devant l’Espagne et les Pays-Bas (Figure 8). La France arrive en dernière position. La consommation des produits du porc dans chacun de ces pays renvoie à un fort attachement culturel des consommateurs.
Figure 8 : Consommation de porc par habitant en 2022 (kgec/hab)
Source : Ifip d’après Eurostat, Agreste
L’année 2022 marque un tournant après plusieurs années de stabilisation relative des prix de détail. La hausse des coûts ne s’est pas répercutée avec la même rapidité dans tous les pays. Le niveau d’inflation atteint un maximum en Allemagne et aux Pays-Bas. Tandis qu’en France, elle est plus modérée, la hausse n’étant survenue qu’à partir du dernier quadrimestre. Les pays ont déployé différentes démarches de soutien visant à contenir l’inflation au travers d’aides à l’attention des foyers les plus modestes, de baisse ou de suppression de TVA, sans que les viandes soient nécessairement inclues dans ces mesures. Alors que l’inflation alimentaire en Espagne a atteint en novembre +15,3 % sur un an, le gouvernement a décidé de la suppression de la TVA sur les produits essentiels pour une durée de 6 mois, sans pour autant en faire bénéficier les viandes.
Malgré le contexte inflationniste, la part des dépenses en viande sur le total alimentaire dans le budget des ménages évolue peu par pays (Figure 9). Elle demeure le premier poste alimentaire des ménages et représente une part importante pour les Espagnols.
Figure 9 : Part des dépenses en viandes sur le total alimentaire par habitant
Source : Ifip d’après Eurostat
En Europe, le report de la consommation hors domicile vers la consommation à domicile qui s’est opéré durant la crise sanitaire et qui a profité à l’embellie de la consommation des produits du porc en 2020 et en 2021, s’est progressivement atténué à partir du second semestre 2021.
En 2022, dans les pays où la consommation par habitant est déjà élevée, la demande a profité d’un effet rebond mécanique lié à la reprise de la restauration. Néanmoins, certains facteurs sont venus contrebalancer cet effet, tels que le vieillissement de la population et la recherche d'une plus grande diversité de sources de protéines en lien avec la montée des préoccupations liées à l'alimentation. La consommation de viande continue de se déplacer vers la volaille en raison d’une préférence croissante pour les viandes blanches perçues comme un meilleur choix alimentaire, pénalisant le porc. Néanmoins, l’année 2022 a été marquée par une poussée inflationniste dès le second trimestre de 2022, venue renforcer l’arbitrage prix qui joue plutôt en faveur des produits du porc.
I.4. THEME 8 : ORGANISATION DES FILIERES
Ce thème met en perspective les caractéristiques structurelles de chacune des filières porcines étudiées, ainsi que les faits marquants de l’année pouvant modifier ces spécificités. Il présente un aperçu qualitatif des organisations et spécificités des filières. Ainsi, il n’est pas pris en compte dans le calcul du score global présenté en conclusion du rapport.
La filière espagnole se caractérise par un modèle d’intégration qui assure aux opérateurs leurs approvisionnements ou débouchés. Les entreprises intégratrices gèrent le maillon élevage et possèdent bien souvent leurs propres outils d'abattage et de transformation. Elles peuvent également disposer d'usines d'aliment. Les coûts des bâtiments et de la main d’œuvre en élevage sont inférieurs à ceux des autres pays étudiés. Toutefois, la dépendance aux matières premières agricoles affecte fortement les coûts des éleveurs en 2022. Les abattoirs ont des capacités d’abattages importantes et ont une logique d’investissement pour moderniser leurs outils. Le maillon de l’aval est relativement peu concentré par rapport aux filières concurrentes européennes. Les entreprises de l’aval sont nombreuses et la production est moins concentrée. A l’international, la force de la filière espagnole réside dans l’habilité de ses entreprises à se coordonner lorsqu’il s’agit de stratégies d’internationalisation sur les marchés. L’analyse des opportunités de marché des pays clients est prise en charge par les attachés agricoles des ambassades. Par ailleurs, le jambon ibérique constitue un produit d’appel très attractif à l’export. Enfin, en Espagne, les distributeurs se livrent moins à une guerre des prix comme elle peut exister en France.
Au sein de la filière française, le modèle coopératif domine. Les éleveurs regroupent leurs productions au sein de coopératives et d’organisations de production (Ifip, 2024). Le "porc français" est un atout pour la filière française qui permet de mieux informer les consommateurs, et ainsi protège la production domestique en limitant les importations de viande de porc. La France se caractérise également par sa faible dépendance aux importations de céréales. La grande superficie agricole de l’hexagone permet au pays d’être excédentaire en céréales, économisant ainsi davantage les coûts de fret maritime par rapport à d’autres concurrents. En 2022, les résultats des élevages porcins sont supérieurs aux autres pays du fait d’un prix de l’aliment qui augmente moins que dans les autres pays : l’autonomie en céréales et le rôle tampon joué par les fabricants d’aliment peut expliquer cela. Enfin, le score de la France masque une disparité de compétitivité des entreprises de l’aval au sein de la filière.
La filière danoise est fortement orientée à l’exportation, notamment vers l’Asie pour les viandes de porcs et vers l’Allemagne pour les porcelets. Les entreprises danoises ont installé de nombreux bureaux à l’étranger pour faciliter la réactivité aux opportunités de marché. Le maillon abattage-découpe est fortement concentré : les abattages sont partagés entre quelques acteurs. Les abattoirs danois font face à des difficultés de recrutement de la main d’œuvre. Les outils d’abattages sont relativement plus automatisés et intensifs comparativement à ceux des pays européens concurrents. La filière danoise est également performante dans la classification des pièces. La productivité des truies est excellente pour ce pays spécialiste du naissage. Enfin, la fabrication d’aliments à la ferme (FAF) est très présente. Les éleveurs cultivent généralement des hectares pour l’alimentation de leurs porcs.
La filière néerlandaise est aussi orientée vers l’exportation. Sur le continent européen, c’est aux Pays Bas que la densité des porcs est la plus élevée. La filière porcine est largement avantagée par le port Rotterdam, que ce soit pour l’approvisionnement de céréales et tourteaux destinés à l’alimentation des porcs, mais aussi pour l’exportation de viande de porcs. Aux Pays-Bas, peu d’éleveurs sont regroupés en coopérative, et les négociants achetant les porcs sont plus présents que dans les autres pays européens. La productivité du travail en élevage est excellente.
La filière allemande ne possède pas d’interprofession. Néanmoins, le "German Meat" est un organisme soutenant les entreprises du secteur de la viande dans leurs stratégies à l’export et joue le rôle de médiateur avec les clients. Dans les abattoirs allemands, la main d’œuvre composée de beaucoup de travailleurs étrangers est peu onéreuse. Ce qui confère un avantage à la filière face aux pays voisins européens. En 2022, la présence de la fièvre porcine africaine sur le territoire a continué d’affecter les exportations allemandes. Les marchés asiatiques, notamment celui chinois, sont fermés aux expéditions de viande de porcs allemands. Ce manque de débouché à l’international a impacté la production nationale et les abatteurs peinent à remplir pleinement leurs capacités d’abattage.
Figure 10 : Score global 2022
Source : Ifip
CONCLUSION
L’édition 2022 de l’observatoire de la compétitivité réalise une analyse concurrentielle entre 5 pays européens : la France, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Danemark. Entre 2021 et 2022, les productions porcines des pays étudiés diminuent, après l’embellie provoquée par le débouché chinois.
Le Danemark reste le pays le plus compétitif (Figure 10). Le pays obtient des scores élevés sur la plupart des indicateurs évaluant la compétitivité, en particulier sur les thèmes élevages et dynamique de la consommation. Les performances et la rentabilité des élevages danois sont très élevées. La consommation nationale en 2022 a progressé sur un an de 7 % en moyenne triennale et la consommation individuelle est très élevée : 83,9 kec/hab.
L’Espagne se place en 2e position du classement global de la compétitivité. La filière espagnole est organisée selon un modèle d’intégration verticale des activités. Cette structuration a permis de développer rapidement la filière porcine. En effet, la production porcine espagnole est la plus dynamique de la dernière décennie. La compétitivité des entreprises de l’aval repose fortement sur une main d’œuvre peu onéreuse. Le dynamisme du commerce extérieur est un des principaux atouts de la filière espagnole. Néanmoins, le commerce espagnol qui jusque-là résistait, est impacté par la reconstitution du cheptel chinois et doit trouver de nouveaux débouchés pour écouler sa production. Le pays est dépendant des approvisionnements extérieurs pour subvenir entièrement aux besoins alimentaires de ses porcs.
La France, en 3e position, établit une progression dans son score de compétitivité. L’Hexagone, moins dépendant des marchés à l’export, est, dans une moindre mesure, impacté face à la perte du débouché chinois. La France profite également de prix des aliments plus compétitifs, grâce à sa production céréalière excédentaire. Enfin, la compétitivité de son maillon élevage s’est améliorée, les prix du porc ont été élevés en 2022 et l’augmentation des coûts a été plus contenue que dans les filières des quatre pays concurrents.
Les Pays-Bas arrivent en 4e position dans le score global de compétitivité. La compétitivité de la filière néerlandaise est portée par les entreprises de l’aval et par le commerce extérieur. Toutefois, les Pays-Bas sont relativement peu compétitifs sur le thème alimentation animale, mais développent une filière d’aliments à base de co-produits.
L’Allemagne obtient les scores de compétitivité les plus faibles. La production porcine allemande a fortement reculé, minée par la FPA et la consommation nationale en berne. En effet, entre 2021 et 2022 (-19 % entre 2013 et 2022). La consommation a baissé de 2,2 % sur 1 an en moyenne triennale. Les exportations allemandes ont reculé de 17 % sur les trois dernières années.
Références
Agreste (2023). En 2022, repli de la production et hausse des prix à des niveaux inédits. Synthèses conjoncturelles – Porcins, n°406, mai 2023, 7p.
Forsa & BVLH (2023). Ernährungsweisen der Bundesbürger: vegetarisch, vegan oder flexitarisch? Ergebnisse einer repräsentativen Befragung. 25 pages. Disponible en ligne : https://www.bvlh.net/fileadmin/redaktion/downloads/pdf/2023/forsa-Umfrage_Pflanzenbetonte_Ern%C3%A4hrung.pdf
Husson E. (2023). Commerce mondial du porc : moindre demande et flambée des prix du porc. Bilan d'activité 2022, édition IFIP, mai 2023, p. 78
Husson E. (2025). Souveraineté alimentaire sur les marchés européens et français : quelles dynamiques pour le porc ? Journée Recherche Porcine, 57, 387-388
Husson E., Van Ferneij J.-P. (2022). Le commerce intra-européen des viandes et coproduits du porc : tendances et évolutions récentes des principaux flux et identification des marchés d’intérêt. Journée Recherche Porcine, 54, 55-60
IFIP (2024). Porc Par Les Chiffres, La Filière Porcine En France, Dans l’UE et Le Monde, 2024-2025. 37p.
Le Clerc L., 2023. International : chute drastique des résultats des élevages de porc en 2022, Réussir Porc – Tech Porc, n°314, décembre 2023, 6-7
USDA Foreign Agricultural Service (2023). Spanish swine and pork production driven down by lower exports and animal welfare regulations. Livestock and Products Report, n° SP2023-0030, septembre 2023, 4p.