Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

La contribution des protéines animales aux apports totaux recommandés en protéines

 

Environ la moitié de l'apport total en protéines des adultes devrait être d'origine animale pour respecter les recommandations basées sur les nutriments non protéiques, avec des variations dues à l’âge et au sexe.
 
Cette étude, publiée originellement dans The Journal of Nutrition le 11 juillet 2022, (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/) apporte des informations factuelles sur les contributions des protéines animales aux protéines totales qui sont compatibles avec le respect de toutes les recommandations nutritionnelles sans surcoût, et montre qu'elles varient entre 45% et 60% selon le groupe d'adultes considéré.


INTRODUCTION

Une alimentation durable et saine est définie par une consommation abondante et variée d'aliments végétaux peu transformés (fruits, légumes, noix, céréales non raffinées, légumineuses, etc.) complétée par des quantités modérées d'aliments d'origine animale (FAO, OMS. Principes directeurs pour des régimes alimentaires sains et durables, 2019). Une consommation plus élevée d'aliments végétaux est associée à un meilleur état de santé (Lonnie, Johnstone., 2020), tandis qu’une consommation excessive de viande rouge et de viandes transformées (charcuteries en particulier) est découragée par les directives nutritionnelles de santé publique (Herforth et al., 2019). Étant donné que la viande a une teneur en protéines par kilocalorie plus élevée que les végétaux, et en supposant l’apport calorique constant, la végétalisation de l’alimentation réduira inévitablement à la fois l’apport en protéines totales et les contributions des protéines animales aux protéines totales (Gardner et al., 2019). D’une manière générale, les protéines végétales ont une moins bonne qualité nutritionnelle que les protéines d’origine animale en raison d’un équilibre en acides aminés indispensables moins favorable et d’une moindre digestibilité (Groupe scientifique de l'EFSA sur les produits diététiques, EFSA J 2012). Néanmoins, dans les pays occidentaux, où les quantités de protéines consommées dépassent généralement les besoins minimaux, les différences de qualité entre les protéines provenant de différentes sources alimentaires ont des impacts négligeables sur l’adéquation en protéines et en acides aminés (Gardner et al., 2019 ; Mariotti et al., 2017). En d'autres termes, pour la majorité des habitants des pays occidentaux, qui sont généralement omnivores, le risque d'avoir un apport insuffisant en protéines est faible et il est peu influencé par la part des protéines animales dans l'alimentation. Cependant, la prudence s'impose chez les personnes âgées car elles ont des besoins en protéines plus élevés que les autres adultes (estimés à 1 g/kg pour les adultes de plus de 65 ans vs 0,83 g/kg pour les adultes plus jeunes) (Avis de l’Anses relatif à l'actualisation des repères alimentaires, 2019). Ainsi, pour les adultes français âgés de 65 ans et plus, un risque plus élevé de fragilité a été observé pour des apports protéiques inférieurs à 1 g/kg de poids corporel, indépendamment des apports énergétiques journaliers (Rahi et al., 2016 ; De Gavelle et al., 2018).

Les aliments sources de protéines fournissent plusieurs nutriments autres que les protéines et contribuent largement à l'adéquation nutritionnelle de notre alimentation (Phillips et al., 2015). Les aliments d'origine animale fournissent des nutriments que l'on ne trouve pas dans les aliments d’origine végétale (telles que la vitamine B12 et les acides gras oméga 3 à longue chaîne), ou que l'on trouve en petite quantité (par exemple, les vitamines B6, D et la riboflavine) ou encore que l'on trouve sous des formes moins biodisponibles (par exemple, le fer et le zinc) que dans les produits végétaux, ces derniers représentant des sources uniques de fibres et de vitamine C, et les principales sources de folates (vitamine B9), de vitamine E et d'autres antioxydants. Par ailleurs, les régimes très végétalisés ne sont pas nécessairement plus abordables sur le plan financier que des régimes plus riches en produits d’origine animale (Hirvonen et al., 2020). Plus généralement, les contraintes budgétaires sont des déterminants importants des choix alimentaires, et une alimentation de bonne qualité nutritionnelle à tendance à coûter plus cher qu’une alimentation déséquilibrée (Darmon et al., 2015).

L'objectif de cette étude était de déterminer dans quelle mesure des diminutions des apports en protéines, en particulier d'origine animale, pouvaient être réalisées sans nuire à l'adéquation nutritionnelle de l’alimentation et sans surcoût. Pour atteindre cet objectif, des modèles mathématiques d'optimisation ont été développés pour déterminer le niveau théorique minimal de protéines, ainsi que le pourcentage minimal de protéines animales dans les protéines totales qui seraient compatibles avec le respect de toutes les recommandations nutritionnelles, sans modifier le contenu énergétique total et sans surcoût. L’estimation a été conduite la population adulte française stratifiée en 5 sous-populations d’âge et de sexe différents.

I. MATERIEL ET METHODES

I.1. Populations d'intérêt

Cinq sous-populations d'adultes ont été définies en fonction des niveaux d’apports en nutriments recommandés. Dans un premier temps, la segmentation a été appliquée sur la base du sexe car les niveaux recommandés de vitamines (A, E, B6), de minéraux (magnésium, zinc) et d'eau diffèrent pour les hommes et les femmes (Tableau 1). Ensuite, pour chaque sexe, un seuil d'âge de 65 ans a été retenu afin de tenir compte des différences d'apports protéiques recommandés : 1,0 g de protéines/kg de poids corporel pour les adultes de 65 ans et plus, et 0,83 g de protéines/kg de poids corporel pour les adultes plus jeunes (Avis de l’Anses relatif à l'actualisation des repères alimentaires du PNNS, 2019). Les femmes ont été réparties en fonction des besoins en fer, en considérant 50 ans comme l’âge de la ménopause (ANSES-Rapport d’Expertise Collective, 2016). Cela a conduit à 5 sous-populations, comme suit : 1) femmes < 50 ans ; 2) femmes de 50 à 64 ans ; 3) femmes ≥ 65 ans ; 4) hommes < 65 ans ; et 5) hommes ≥ 65 ans.

I.2. Données alimentaires et régimes alimentaires moyens observés

Les données alimentaires sont issues de la deuxième étude française individuelle et nationale sur les consommations alimentaires (INCA2), enquête transversale visant à estimer les consommations alimentaires des personnes vivant en France métropolitaine menée entre 2005 et 2007 par l'Agence française de l'alimentation, environnement, santé et sécurité au travail (AFSSA. Summary of the report of the 2006/2007 Individual and National Survey on Food Consumption, 2009). Pour cette étude, tous les adultes de plus de 18 ans ont été étudiés, conduisant à un échantillon total de 2624 individus, répartis en 922 femmes < 50 ans, 418 femmes entre 50 et 64 ans, 197 femmes ≥ 65 ans, 936 hommes < 65 ans et 151 hommes ≥ 65 ans. L'enquête INCA2 a reçu l’accord de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL). Pour chacune des 5 sous-populations, nous avons estimé la consommation alimentaire quotidienne moyenne, également appelé « régime observé » ci-dessous, sur la base de 212 items alimentaires fréquemment consommés (tableau supplémentaire 1), suivant une méthode d'appariement décrite précédemment (Gazan et al., 2018). Basée sur la table française de composition des aliments [CIQUAL 2013] (The French Information Center on Food Quality, Anses, 2013), pour chaque sexe, une base de données de composition nutritionnelle indiquant les teneurs en énergie, fibres, graisses (dont les acides linoléique et alpha-linolénique ; EPA ; DHA ; et les acides laurique, myristique et palmitique, ainsi que les AGS totaux), protéines (y compris les acides aminés), glucides, 11 vitamines et 11 minéraux a été élaborée pour chacun des 212 items alimentaires, en pondérant ces teneurs nutritionnelles par les consommations des différents aliments composant l’item (Gazan et al., 2018). Les teneurs en phytates et en acides aminés des aliments ont été tirées des bases de données du Réseau international des systèmes de données sur les aliments -INFOODS- (Gazan et al., 2018). Les prix moyens des 212 produits alimentaires ont été calculés sur la base des données du KantarWorldpanel 2006 (Gazan et al., 2018, Kantar Worldpanel, 2017). Après suppression des produits alcoolisés, les apports en nutriments et les coûts associés à la consommation de 207 items alimentaires ont été estimés pour chaque sous-population, ce qui a conduit à 5 régimes observés.

Table 1. Contraintes appliquées aux jeux de modèles #1 et #2, pour chaque sous-populationproteines animales tab1 2

1 La série de modèles #1 s'est attachée à déterminer le niveau théorique minimum de protéines alimentaires totales compatible avec le respect de toutes les recommandations basées sur les nutriments (sans imposer une quantité minimum de protéines totales), sans modifier le contenu énergétique total et sans coût supplémentaire.;
2 La série de modèles #2 s'est attachée à déterminer le pourcentage minimum de protéines animales dans les protéines totales compatible avec le respect de toutes les recommandations basées sur les nutriments (sans imposer une quantité minimum de protéines totales) sans modifier le contenu énergétique total, sans coût supplémentaire et en tenant compte des habitudes alimentaires.
3 Dans l'hypothèse d'une perte importante de fer par le sang menstruel
4 <95e percentile estimé uniquement pour les consommateurs du produit alimentaire.
5 Les aliments enrichis sont les suivants : céréales pour le petit-déjeuner (3 produits), jus multivitaminé, boisson à base de soja, soupe de tomates, dessert à base de soja (3 produits), poudre de cacao, jus d'ananas, mélange d'huiles, boisson instantanée, margarine à faible teneur en matières grasses. Chaque aliment a été contraint de rester en dessous de sa quantité observée. Les eaux minérales (8 produits) ont été contraintes de la même manière pour favoriser l'eau du robinet.
6 [5e percentile; 95e percentile] estimé pour tous les individus, y compris les non-consommateurs du groupe d’aliments.

I.3. La modélisation

Les modèles développés dans cette étude ont utilisé une technique d'optimisation mathématique basée sur l'algorithme du simplexe. Un modèle d'optimisation est composé de variables, de contraintes et d'une fonction « objectif », et l’algorithme identifie la valeur que doit prendre chaque variable pour respecter simultanément toutes les contraintes imposées, et ceci pour la valeur optimale (minimale dans le cas d’une minimisation ou maximale dans le cas d’une maximisation) de la fonction « objectif ». Dans les modèles d'optimisation d’un régime alimentaire, les variables sont les quantités d'aliments et l'algorithme trouve la quantité de chaque aliment dans le régime modélisé qui est compatible avec le respect simultané de toutes les contraintes pour la valeur minimale (ou maximale) de la fonction « objectif ». Dans la présente étude, deux types de modèles ont été développés, appelés jeu de modèles #1 et jeu de modèles #2. Les modèles #1 visaient à déterminer la teneur minimale en protéines compatible avec le respect de toutes les recommandations nutritionnelles (sans imposer une quantité minimale de protéines totales, puisqu’elles étaient minimisées), sans modifier le contenu énergétique observé et sans dépasser le coût observé. Les modèles #2 visaient à déterminer, pour chaque sous-population, le pourcentage minimal de protéines animales dans les protéines totales compatible avec le respect de toutes les recommandations nutritionnelles sans modifier le contenu énergétique observé, sans dépasser le coût observé et en tenant compte des habitudes alimentaires.


I.4. Les variables

Les variables étaient les mêmes pour les deux types de modèles : les 207 items alimentaires de la base de données spécifique à chaque sous-population étaient les variables de chaque modèle exécuté.


I.5. Les contraintes


Les contraintes appliquées aux modèles sont décrites dans le Tableau 1.
Les contraintes nutritionnelles ont été appliquées aux deux séries de modèles (#1 et #2). Un ensemble de contraintes nutritionnelles spécifiques à chaque sous-population a été appliqué à chaque modèle. Ces contraintes imposaient le respect de l’ensemble des recommandations d’apports en nutriments (à l'exception des protéines, pour lesquelles les niveaux ont été analysés en sortie). Le contenu énergétique des régimes modélisés a été maintenu égal à celui des régimes observés (c'est-à-dire que les régimes modélisés étaient iso-énergétiques avec les régimes observés). Toutes les valeurs nutritionnelles de référence (VNR) sont issues des rapports de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES. Avis relatif à l'actualisation des repères alimentaires, 2019 et Actualisation des repères du PNNS, 2016) disponibles au début du projet. Les contraintes EPA + DHA et vitamine D ont été adaptées car trop contraignantes (les recommandations officielles sont de 500 mg/j pour l'EPA + DHA et de 15 μg/j pour la vitamine D). L'apport en EPA + DHA a été fixé à 250 mg/j, en accord avec la valeur nutritionnelle de référence de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority., 2017), et la contrainte en vitamine D a été fixée à 5 μg/j, car cet apport est considéré comme suffisant par plusieurs autorités officielles (ANSES, Actualisation des repères du PNNS : Révision des repères de consommations alimentaires, 2016). Les recommandations pour le calcium étant différentes avant et après l'âge de 25 ans, les VNR ont été pondérées en fonction des pourcentages d'individus de plus et de moins de 25 ans parmi les femmes de moins de 50 ans et les hommes de moins de 65 ans. Pour le sodium, les teneurs dans les régimes modélisés devaient être maintenues en dessous des apports observés. Conformément à la VNR française, les teneurs recommandées en zinc appliquées aux régimes modélisés dépendaient des teneurs en phytates dans les régimes. Conformément aux recommandations alimentaires françaises, la quantité de poisson a été maintenue à 200 g/semaine (au maximum) pour limiter l'exposition aux contaminants liés au poisson.
Des contraintes sur le coût total du régime et sur la quantité maximale de chaque item alimentaire ont été imposées aux deux séries de modèles (#1 et #2) pour assurer un minimum de réalisme aux régimes modélisés. La contrainte de coût imposait que le coût de chaque régime modélisé reste inférieur ou égal au coût du régime observé. Les contraintes sur les items alimentaires imposaient que chacun des 207 items ne puisse pas être introduit en quantité supérieure au 95ième percentile de la distribution de sa consommation dans la population (le percentile étant calculé chez les consommateurs de l’item uniquement).
Des contraintes appelées contraintes de consommation et des contraintes sur le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales ont été introduites uniquement dans les séries de modèles #2. Les contraintes de consommation visaient à éviter la génération de régimes modélisés reflétant des patterns alimentaires (i.e. présence et équilibre des différents groupes, sous-groupes et catégories d’aliments) peu plausibles. Comme l’indique le Tableau 1, ces contraintes de consommation prenaient la forme de quantités minimales et maximales par groupe, sous-groupe et catégories d'aliments, basées sur les percentiles de consommation calculés chez l’ensemble des individus (pas uniquement les consommateurs du groupe, sous-groupe ou de la catégorie). Concernant les contraintes sur le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales, pour chaque sous-population, un premier modèle de la série #2 était appliqué sans cette contrainte. Puis, partant du pourcentage de protéines animales dans les protéines totales atteint dans ce premier régime optimisé, une contrainte sur ce pourcentage était introduite et progressivement renforcée par paliers de 5%, jusqu'à ce qu'aucune solution ne puisse être trouvée. Ainsi, pour chaque sous-population, une série de modèles #2 était appliquée et conduisait à une série de régimes modélisés respectant l’ensemble des contraintes nutritionnelles (non-protéiques), d’abord sans contrainte sur le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales puis avec un pourcentage progressivement réduit par paliers de 5%.

I.6. Fonction "objectif"

Dans la série des modèles #1, les protéines totales (en grammes) ont été minimisées en appliquant la fonction "objectif" suivante :

proteines animales formule1

Ici, Prot est la quantité de protéines dans le régime modélisé, Qopti est la quantité modélisée d'item alimentaire i et Proti est la teneur en protéines (en grammes) de l'item i.

Dans les séries des modèles #2, la fonction « objectif » a été conçue pour minimiser l'écart par rapport au régime alimentaire observé afin de maximiser son acceptabilité. La fonction « objectif » est calculée comme la somme des valeurs absolues des différences entre la quantité de chaque item alimentaire parmi les 207 items répertoriés dans le régime observé et la quantité de chaque item sélectionné dans le régime modélisé, comme suit :

proteines animales formule2

Ici, D est l'écart absolu (en grammes) entre les régimes modélisés et observés, Qopti est la quantité modélisée d’item alimentaire i, et Qobsi est la quantité observée de l’item i (estimée sur l'ensemble de l'échantillon de la sous-population, y compris les non-consommateurs de l’item).

I.7 Sélection d'un régime modélisé pour chaque sous-population

Pour chaque sous-population, parmi les régimes obtenus avec la série des modèles #2, le régime avec le plus faible pourcentage de protéines animales dans les protéines totales, compatible avec le respect de l’ensemble de toutes les contraintes (nutritionnelles, de coût et de consommation) et avec l'adéquation protéique (cette dernière étant vérifiée a posteriori) a été sélectionné sur la base du respect des 3 critères suivants :
1) Teneur en protéines totales adéquate : la teneur en protéines totales ne devait pas être inférieure au niveau minimum recommandé pour cette sous-population (afin que le régime modélisé sélectionné soit ainsi entièrement adéquat sur le plan nutritionnel car il respecte toutes les recommandations d’apport en nutriments, y compris la recommandation d’apport en protéines ;
2) Fonction « objectif » du même ordre de grandeur que le poids total du régime observé : la valeur de la fonction objectif (c'est-à-dire la valeur prise par D dans l’équation 2, qui est la somme des différences absolues entre les quantités modélisées et observées de chaque item alimentaire) du régime modélisé sélectionné devait être inférieure au poids total du régime observé (en kilogrammes) ;
3) Limitation de l’exclusion d'aliments : dans le régime modélisé sélectionné, le nombre total d'items alimentaires ne devait pas diminuer de plus de 15% par rapport au régime précédemment modélisé de la série (c'est-à-dire le régime modélisé avec un pourcentage de protéines animales dans les protéines totales supérieur de 5 points vs le pourcentage dans le régime modélisé sélectionné).

I.8. Adéquation protéique

Il a été considéré que les régimes (observés et modélisés) présentaient une adéquation protéique lorsque : 1) la teneur totale en protéines était supérieure ou égale à la quantité recommandée pour la sous-population ; 2) la qualité des acides aminés indispensables (histidine, isoleucine, leucine, lysine, méthionine + cystéine, phénylalanine + tyrosine, thréonine, tryptophane, valine) était adéquate ; et 3) la quantité d'acides aminés indispensables était adéquate.
Des évaluations qualitatives et quantitatives de l’adéquation des régimes en chaque acide aminé ont été réalisées en comparant les teneurs en acides aminés digestibles dans les régimes aux quantités recommandées (tableau supplémentaire 2) exprimées de deux manières. Premièrement nous avons estimé la qualité de l’apport protéique en comparant le profil en acides aminés indispensables de l’apport protéique observé, ou simulé, à celui de l’apport en acides aminés indispensables recommandé. Deuxièmement nous avons vérifié que l’apport en acides aminés indispensables de l’apport protéique observé, ou simulé, permettait de couvrir le besoin minimum en chacun des acides aminés indispensables, estimé à partir du profil en acides aminés indispensables recommandé (mg de chacun des acides aminés indispensable/g de protéine) et de l’apport protéique recommandé (g de protéine/j).

I.9. Analyses

Les analyses ont été répétées pour chacune des cinq sous-populations. Premièrement, la teneur minimale en protéines totales pouvant être atteinte avec la série de modèles #1 (c'est-à-dire le niveau de protéines théorique le plus bas compatible avec le respect - sans surcoût - de toutes les contraintes nutritionnelles, à l'exception de la recommandation d’apport en protéines, dont les niveaux atteints ont été analysés en sortie des modèles) a été rapportée et comparée aux apports recommandés et observés en protéines, en séparant les résultats en protéines animales et végétales. Deuxièmement, la teneur en protéines des régimes modélisés avec la série de modèles # 2 (c'est-à-dire des régimes avec des réductions progressives de 5% du pourcentage de protéines animales dans les protéines totales, compatibles avec le respect - sans surcoût et en tenant compte des habitudes alimentaires - de toutes les contraintes nutritionnelles, à l'exception de la recommandation d’apports en protéines, dont les niveaux atteints ont été analysés en sortie des modèles) ont été rapportées et comparées aux niveaux recommandés, en séparant les résultats en protéines animales et végétales. Enfin, la composition en aliments du régime sélectionné pour chaque sous-population (parmi tous les régimes obtenus avec la série de modèles #2, selon les critères définis plus haut) a été comparée à la composition en aliments du régime observé.

II. RESULTATS


Le Tableau 2 montre les teneurs en protéines totales et animales dans les régimes moyens observés et dans les régimes obtenus avec la série de modèles #1, pour chaque sous-population.

Table 2. Apports recommandés en protéines, teneur en protéines totales et teneur en protéines animales dans les régimes observés (OBS) et dans les régimes obtenus avec la série de modèles #1 (MOD1), pour chaque sous-population. (1)

proteines animales tab2

(1) La série de modèles #1 visait à déterminer le niveau théorique minimum de protéines totales compatible avec le respect de toutes les recommandations d’aports en nutriments (sans imposer une quantité minimum de protéines totales) sans modifier le contenu énergétique total et sans coût supplémentaire.2 L'apport recommandé journalier en protéines a été estimé en multipliant le poids corporel moyen par l'apport recommandé exprimé en g/kg de poids corporel.

Dans les régimes observés, quelle que soit la sous-population, la teneur en protéines totales était supérieure à l'apport protéique minimum recommandé. Par construction, les teneurs en protéines de tous les régimes obtenus avec la série de modèles #1 sont les quantités minimales de protéines qui seraient théoriquement compatibles avec le respect de toutes les autres recommandations d’apports en nutriments, pour chaque sous-population. Quelle que soit la sous-population, cette quantité minimale de protéines était sensiblement égale à 50 g/j, bien inférieure aux apports observés (environ 70 g/j et 90 g/j chez les femmes et les hommes, respectivement) et également inférieure à l'apport protéique recommandé, sauf pour la sous-population des femmes < 50 ans.
Quelle que soit la sous-population, 16% à 17% des apports caloriques dans les régimes alimentaires observés, provenaient des protéines. En revanche, la contribution des protéines au contenu calorique des régimes obtenus avec la série de modèles #1, ne représentait plus qu’entre 8,8% (chez les hommes < 65 ans) et 12,5% (chez les femmes < 50 ans). Dans les régimes observés, le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales était d'environ 68% à 72%, et il a diminué dans l’ensemble des régimes obtenus avec la série de modèles #1 pour atteindre entre 46,3% (chez les hommes < 65 ans) et 58,8% (chez les femmes ≥ 65 ans).
Le Tableau supplémentaire 3 disponible en anglais (ici) indique les teneurs en nutriments, le coût et les quantités de poisson dans les régimes observés et dans les régimes obtenus avec la série modèles #1, pour chacune des 5 sous-populations. Certaines valeurs étaient exactement égales aux valeurs imposées par leurs contraintes respectives (minimales ou maximales). De telles contraintes sont appelées contraintes « actives ». Les identifier permet de repérer quelles contraintes sont plus difficiles à satisfaire que d'autres. Les contraintes actives sont également celles qui ont le plus d'influence sur les types et les quantités d'aliments introduits dans les régimes modélisés (c'est-à-dire les « choix alimentaires » effectués par les modèles). Les contraintes relatives à l'énergie (égalité), à l'eau (maximum), aux AGS (maximum), aux fibres (minimum), au zinc (minimum) et à la vitamine D (minimum) étaient contraignantes pour les 5 sous-populations, tout comme les contraintes relatives au coût de l'alimentation (maximum) et aux quantités de poisson (maximum). Les contraintes relatives aux teneurs minimales en acide alpha-linolénique et en calcium étaient actives pour presque toutes les sous-populations. Pour les autres contraintes, elles pouvaient être inactives, ou actives pour certaines sous-populations et pas pour d’autres. Ainsi, la contrainte relative à la teneur minimale en iode était active dans tous les régimes modélisés pour les femmes, mais pas pour les hommes. À l'inverse, les contraintes relatives aux sucres totaux (maximum) et au magnésium (minimum) étaient actives dans tous les régimes modélisés pour les hommes, mais pas pour les femmes. La contrainte relative au fer n'était active que pour la sous-population des femmes < 50 ans.

La Figure 1 indique la teneur en protéines des régimes observés et des régimes obtenus avec la série de modèles #2. Pour chaque sous-population, le premier modèle de la série #2 conduisait à un régime qui contenait plus de protéines totales que la teneur observée en protéines (pour rappel, aucune contrainte sur le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales n’était appliquée dans ces modèles appelés MOD2-NO). Dans les autres modèles de la série #2, l’introduction d’une contrainte imposant la réduction, par paliers de 5%, du pourcentage de protéines animales dans les protéines totales a induit une réduction progressive de la teneur en protéines totales. Dans la plupart des régimes modélisés #2, le niveau minimal recommandé d’apport en protéines était atteint, et ceci malgré l’absence de contrainte sur les teneurs en protéines totales dans ces modèles. Cependant, pour les sous-populations plus âgées, lorsque le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales était contraint à ne pas dépasser 55% pour les hommes ≥ 65 ans et 50% maximum pour les femmes ≥ 65 ans, les teneurs en protéines totales étaient inférieures aux niveaux minimums recommandés d’apports en protéines dans ces sous-populations. Pour les autres sous-populations, les teneurs en protéines des régimes modélisés #2 étaient supérieures aux niveaux recommandés, et le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales pouvait être réduit jusqu’à 50% pour les femmes < 50 ans, 45% pour les femmes de 50 à 64 ans, et même 40% pour les hommes < 65 ans. La contrainte de coût était contraignante dans tous les régimes modélisés (résultats non montrés). L’analyse a posteriori de l’adéquation protéique des régimes modélisés a montré que tous ceux dont la teneur en protéines totales était supérieure aux niveaux recommandés étaient qualitativement et quantitativement adéquats en termes de teneurs en acides aminés indispensables, de sorte qu'une adéquation totale des protéines était assurée (tableau supplémentaire 4 consultable ici).

La Figure supplémentaire 1 (ici) indique les écarts par rapport aux régimes observés (c'est-à-dire la valeur D de la fonction objectif -cf équation 2- égale à la somme des valeurs absolues des différences entre la quantité de chaque item alimentaire dans le régime observé et le régime modélisé correspondant), ainsi que le nombre d'aliments présents dans le régime modélisé, pour tous les régimes générés par la série de modèles #2 pour chaque sous-population. Selon les sous-populations, des écarts entre 1,0 kg/j et 1,8 kg/j ont été nécessaires avec les modèles #2-NO. Ensuite, la diminution progressive du pourcentage de protéines animales dans les protéines totales a progressivement augmenté l'écart nécessaire entre régimes observés et modélisés et a progressivement réduit le nombre d'items alimentaires présents dans les régimes modélisés. Les spécificités de chaque sous-population étaient les suivantes :
1) Pour les femmes < 50 ans, l’écart (D) avec le régime observé devenait supérieur à la masse totale du régime observé à partir du régime modélisé comprenant 50% de protéines animales dans les protéines totales.
2) Pour les femmes de 50 à 64 ans, l’écart (D) avec le régime observé devenait supérieur à la masse totale du régime observé à partir du régime modélisé comprenant 45% de protéines animales dans les protéines totales.
3) Pour les femmes ≥ 65 ans, le niveau recommandé de protéines totales n’était plus atteint à partir du régime modélisé comprenant 50% de protéines animales dans les protéines totales.
4) Pour les hommes < 65 ans, l'écart par rapport au régime observé n'était jamais supérieur à la masse totale du régime observé, et la teneur en protéines des régimes modélisés était toujours supérieure au niveau recommandé. Cependant, le nombre total d’items alimentaires a diminué de plus de 15% entre le régime modélisé comprenant 45% de protéines animales dans les protéines totales et celui qui en comprenait 40%.
5) Pour les hommes ≥ 65 ans, le niveau recommandé de protéines totales n’était plus atteint à partir du régime modélisé comprenant 55% de protéines animales dans les protéines totales (carrés).

Figure 1 : Teneurs en protéines totales, animales et végétales (g/jour) des régimes observés et des régimes obtenus avec la série de modèles #2

proteines animales fig1

Sur la base de ces résultats, et des critères de sélection décrits plus haut, les régimes sélectionnés parmi les régimes #2 pour une analyse plus approfondie (Figure 2) comprenaient 55% de protéines animales dans les protéines totales pour les femmes < 50 ans, 50% pour les femmes de 50 à 64 ans, 55% pour les femmes ≥ 65 ans, 45% pour les hommes < 65 ans et 60% pour les hommes ≥ 65 ans.
Les changements alimentaires induits par la modélisation dans chacun des régimes sélectionnés sont indiqués dans le Tableau 3 pour les groupes et les sous-groupes d’aliments. Dans tous les régimes modélisés sélectionnés, les fruits et légumes, les produits laitiers et les féculents ont augmenté (sauf ce dernier chez les hommes de ≥ 65 ans), tandis que les autres groupes d'aliments ont diminué par rapport au régime observé.

Table 3. Quantités des groupes et des sous-groupes d’aliments dans le régime observé (OBS) et dans le régime sélectionné du jeu de modèles #2 (MOD2)1 sélectionné pour chaque sous-population.proteines animales tab31 pour chaque sous-population, le régime sélectionné est celui qui, parmi les régimes du jeu de modèles #2, contient le moins de protéines animales (en % des protéines totales) et répond à toutes les recommandations d’apports en nutriments, y compris celles concernant les protéines, sans modifier le contenu énergétique, sans coût supplémentaire et en tenant compte des habitudes alimentaires.
2 indique le pourcentage de protéines animales par rapport aux protéines totales dans le régime modélisé sélectionné
3 incluant les légumes secs (lentilles, haricots blancs, etc.)
4 tous les aliments enrichis (par exemple, les céréales pour petit-déjeuner ou les substituts végétaux aux produits laitiers) ont été contraints de ne pas augmenter en quantité.
5 y compris les tartes salées à base de produits d'origine animale (telles que les quiches), les sandwichs, les hamburgers, le couscous, la paella, etc.
6 y compris des plats mixtes salés à base de produits d’origine végétale (comme le taboulé) et des biscuits apéritifs

Les quantités de chaque sous-groupe du groupe d'aliments fruits et légumes étaient augmentées entre régimes observés et modélisés, tout comme celles des féculents non raffinés, du lait et des œufs (sauf ce dernier chez les hommes < 65 ans). En comparaison, les quantités de féculents raffinés, céréales du petit-déjeuner (sauf chez l'homme < 65 ans), yaourts (sauf chez l'homme ≥ 65 ans), fromages, viandes et charcuterie, plats mixtes à base végétale, biscuits et sucre, desserts, graisses animales (sauf chez les hommes ≥ 65 ans), ainsi que les quantités d’épices et sauces (sauf chez les femmes ≥ 65 ans) ont diminué. Les quantités de poisson ont atteint le maximum imposé (200 g par semaine). Les quantités de thé et de café sont restées constantes. D'autres sous-groupes du groupe eau et boissons ont vu leurs quantités réduites pour les femmes et restaient constants pour les hommes. Pour les autres sous-groupes d'aliments (plats mixtes d'origine animale, gâteaux et tartes et graisses végétales), les directions de variation diffèraient entre les sous-populations.

Figure 2 : Contributions (%) des protéines animales et végétales aux protéines totales dans les régimes sélectionnés du jeu de modèles #2 $

proteines animales fig2

III. DISCUSSION

Il est bien connu que les aliments sources de protéines contiennent beaucoup d’autres nutriments que les protéines mais, à notre connaissance, cette étude était la première à avoir évalué jusqu’où il est théoriquement possible de réduire les protéines totales, ainsi que le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales, tout en permettant le respect de toutes les autres recommandations d’apports en nutriments, et sans avoir recours à l'utilisation de compléments nutritionnels ou d'aliments enrichis.
Une approche d'optimisation mathématique a été utilisée pour modéliser les régimes alimentaires de la population tout en imposant un ensemble de contraintes imposant le respect de toutes les recommandations d’apports en nutriments, sans modifier la teneur en calories totales des régimes et en n’autorisant pas d’augmentation de leur coût. Les niveaux de protéines totales étant l’objet même de l’étude, n’étaient pas soumis à des contraintes mais étaient analysés a posteriori (c’est-à-dire après optimisation, dans les régimes modélisés). Les résultats ont montré que dans des modèles très théoriques où les protéines totales étaient directement minimisées sans tenir compte des habitudes alimentaires (modèles #1), un strict minimum d'au moins 48 g/j de protéines totales était nécessaire pour respecter l’ensemble de toutes les recommandations d’apports en nutriments autres que les protéines. Des modèles prenant mieux en compte les habitudes alimentaires (modèles #2) ont montré que le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales compatible avec une adéquation nutritionnelle complète et sans surcoût, pouvait être réduit jusqu’à approximativement 50%, avec des variations (entre 45% et 60%) selon l'âge et le sexe, alors qu’il était d'environ 70% dans les régimes observés. Des pourcentages inférieurs seraient soit mathématiquement impossibles à atteindre, soit les contraintes devraient être assouplies ou supprimées, ce qui compromettrait l'adéquation nutritionnelle et/ou le réalisme des régimes modélisés.
Un résultat important de cette étude est qu'en l'absence de toute contrainte imposant un niveau de protéines donné, une quantité minimale de protéines était cependant nécessaire pour couvrir les autres recommandations d’apports en nutriments (ensemble de modèles #1). Cette quantité était inférieure à l'apport protéique minimum recommandé pour chaque sous-population, à l’exception de la sous-population des femmes < 50 ans pour laquelle le strict minimum était équivalent au niveau de protéines recommandé. De nombreuses contraintes nutritionnelles étaient actives (c’est-à-dire qu’elles étaient effectivement contraignantes) dans les modèles #1, démontrant que les aliments sources de protéines sont également nécessaires pour la couverture des besoins en plusieurs autres nutriments. Dans toutes les sous-populations, les contraintes portant sur la vitamine D, le zinc, les fibres, l'acide alpha-linolénique et les AGS étaient les plus difficiles à respecter. Celles sur l'iode, le calcium, le magnésium et les sucres totaux étaient également difficiles à respecter dans certaines sous-populations. Concernant le fer, la contrainte n'était active que pour les femmes jeunes. Dans cette sous-population, le niveau minimal de fer imposé (16 mg/j) correspondait à une hypothèse de fortes pertes menstruelles de fer. Il convient cependant de noter que des modèles alternatifs (résultats non montrés) ont été menés dans lesquels le niveau minimal de fer imposé n’était que de 11 mg/j (correspondant à l’apport en fer recommandé pour les jeunes femmes avec des pertes menstruelles normales), et la teneur minimale de protéines nécessaire était de 54g de protéines, soit l’équivalent de la quantité minimale de protéines atteinte dans les modèles où 16mg de fer étaient imposés (54 g).
Malgré l'absence de contraintes relatives aux acides aminés indispensables, leurs teneurs étaient systématiquement adéquates dans tous les régimes modélisés qui respectaient l’ensemble des recommandations d’apports en nutriments, y compris celle relative au niveau minimal d’apport en protéines totales, que le pourcentage des protéines animales dans les protéines totales soit diminué ou non. Cela signifie que d'autres insuffisances d’apports en nutriments se produiraient probablement bien avant qu’un déficit d’apport en certains acides aminés indispensables ne devienne un problème. En accord avec cette observation, des études antérieures ont montré que l'adéquation protéique est peu ou pas influencée par la distribution des acides aminés dans les aliments sources de protéines (Gardner et al., 2019) et est plus significativement liée à la quantité de protéines qu'à leur qualité, sauf dans les régimes contenant des pourcentages élevés de protéines végétales dans les protéines totales (environ 70%) et lorsque ces protéines végétales proviennent de sources peu diversifiées, comme les produits céréaliers raffinés (20).
Ainsi, des aliments sources de protéines végétales mais aussi animales étaient nécessaires pour couvrir les recommandations d’apports en nutriments, même lorsque le niveau total de protéines était réduit au minimum. L'évolution vers des régimes alimentaires à base de végétaux dans les pays occidentaux est recommandée par la communauté scientifique et les organismes institutionnels à des fins sanitaires et climatiques (FAO, OMS. Régimes alimentaires sains et durables, 2019), mais il n'y a pas de consensus concernant le rapport adéquat entre protéines animales et protéines végétales dans une alimentation durable. Un ratio 1:1 (1 g de protéines végétales pour 1 g de protéines animales) est souvent présenté comme une norme nutritionnelle mais, à notre connaissance, il n'est recommandé par aucun document officiel. Dans notre étude, la mise en œuvre de modèles visant à diminuer le pourcentage de protéines animales dans les protéines totales par paliers de 5% (modèles #2) a montré que des pourcentages de 60% (hommes ≥ 65 ans), 55% (femmes < 50 ans et ≥ 65 ans) , 50% (femmes de 50 à 64 ans) et 45% (hommes < 50 ans) seraient entièrement compatibles avec l’adéquation nutritionnelle complète des régimes malgré des teneurs relativement faibles (mais adéquates) en protéines, ceci sans augmenter le coût et en tenant compte a minima des habitudes alimentaires.
Nos résultats impliquent donc que le passage à des régimes contenant très peu de protéines animales voire même entièrement végétaliens, comme ceux recommandés par la Commission EAT-Lancet (Willett et al., 2019), nécessiterait obligatoirement un enrichissement des aliments et/ou une supplémentation en nutriments pour couvrir les besoins nutritionnels des adultes. Les pourcentages minimaux de protéines animales repérés dans la présente étude comme compatibles avec l'adéquation nutritionnelle des régimes générés pour les différentes sous-populations peuvent être comparés à ceux obtenus dans 2 études récentes dont l’objet était de proposer des régimes plus durables, l’une pour les adultes français de la cohorte NutriNet-Santé (Seconda et al., 2021) et l’autre pour les adultes néerlandais âgés de la cohorte Longitudinal Aging Study Amsterdam (Grasso et al., 2021). En contradiction apparente avec nos résultats, pour l'étude française, l'approche d'optimisation mathématique utilisée pour dériver des régimes individuels nutritionnellement adéquats avec des impacts environnementaux progressivement plus faibles, tout en contrôlant également le coût, a abouti à des régimes avec un pourcentage de protéines animales dans les protéines totales aussi faible que 22% pour le scénario considéré comme le plus « disruptif » (Seconda et al., 2021). Un tel écart peut s'expliquer par des différences méthodologiques. Contrairement à notre étude, l'étude NutriNet-Santé n'a pas pris en compte la vitamine D et les acides gras oméga 3 à longue chaine (EPA, DHA); les fibres ont été fixées à un niveau minimum de seulement 23 g/j (contre 30 g/j, c’est-à-dire le niveau recommandé en France, dans notre étude) ; les aliments enrichis semblaient être autorisés à augmenter (alors qu'ils étaient contraints de ne pas augmenter dans notre étude) ; la contrainte minimale sur les protéines totales a été fixée à seulement 0,66 g/kg de poids corporel, sans distinction d'âge, alors que la recommandation de l’ANSES utilisée dans notre étude est fixée à 0,83 g de protéines de bonne qualité/kg pour les adultes de moins de 65 ans, et à 1 g/kg pour les plus de 65 ans ; et les teneurs en acides aminés indispensables n'ont pas été communiquées. Comme le suggère le terme « disruptif », un écart considérable par rapport aux habitudes de consommation alimentaire observées a été autorisé. Notamment, ce régime comprenait 200 g/j de produits à base de soja (dont on ne savait pas s’ils étaient enrichis en micronutriments ou pas). Les résultats de l'étude néerlandaise étaient plus en accord avec nos résultats, puisqu'ils ont montré qu'il était possible de concevoir un régime riche en protéines (défini comme fournissant > 1,2 g/kg de poids corporel), nutritionnellement adéquat avec un impact climatique moindre, avec 50% de protéines animales dans les protéines totales (des contributions plus faibles induisant une insuffisance d’apports en acides aminés) (Grasso et al., 2021). Ceci est inférieur aux contributions de 60% et 55% que nous avons obtenues pour les hommes et les femmes plus âgés, respectivement, mais moins de contraintes nutritionnelles ont été incluses dans l'étude néerlandaise que dans nos modèles.
Quelle que soit la sous-population, tous les régimes modélisés ont atteint le coût maximal autorisé (c'est-à-dire le coût observé), ce qui confirme que l'atteinte de l'adéquation nutritionnelle a tendance à être coûteuse (Darmon et al., 2015). La présence de sources alimentaires d'origine animale et végétale dans ces régimes est conforme à plusieurs études montrant que les régimes à faible coût et nutritionnellement adéquats, même ceux très théoriques, incluent toujours des aliments d'origine animale (Maillot et al., 2010 et Chungchunlam, 2020). Dans cette étude, quelle que soit la sous-population, le lait, les œufs et les féculents non raffinés (céréales complètes, légumes secs, pommes de terre) ont été augmentés dans tous les régimes modélisés sélectionnés pour chaque sous-population, probablement parce que ce sont des sources abordables de nutriments (Hess et al., 2019). Au contraire, les aliments dont la densité nutritionnelle est insuffisante (biscuits et sucre, par exemple) ou qui sont denses en nutriments mais plus chers que d'autres aliments aux caractéristiques similaires (fromage, par exemple) ont été diminués ou supprimés.
Cette étude présente des limites. Les régimes modélisés sont théoriques et leur acceptation n’a pas été évaluée en conditions réelles. Les régimes modélisés sélectionnés pour chaque sous-population sont très différents des régimes observés (entre +47% pour le groupe des fruits et +135% s pour celui des légumes, par exemple), et seraient donc difficilement adoptés, au moins à court terme. Néanmoins, l'optimisation est une approche puissante pour prendre en compte simultanément des exigences sur plusieurs variables afin d'identifier les changements alimentaires qui pourraient améliorer la santé de l’homme et de la planète (Gazan et al., 2018 ; Schäfer, 2021). Ce type d’études intègre de plus en plus d'améliorations conceptuelles et de perfectionnements techniques, tels que la prise en compte des liens de coproduction entre certains produits alimentaires (par exemple, le lait et la viande bovine), les élasticités-prix, les impacts environnementaux, les contaminants alimentaires ou la biodisponibilité des nutriments (Gazan et al., 2018). Dans cette étude, la biodisponibilité a été prise en compte pour le zinc (dont les niveaux imposés étaient adaptés aux niveaux de phytates, comme préconisé dans les recommandations françaises), le fer (hypothèses sur les pertes élevées en fer et les besoins en fer associés) et les protéines (évaluations quantitatives et qualitatives des acides aminés). La présence de contaminants n'a été que partiellement et indirectement prise en compte, en imposant une quantité maximale de poissons. Il faut noter cependant que toute contrainte supplémentaire appliquée aux modèles n'aurait eu soit aucun impact sur les résultats (dans le cas de contraintes inactives), soit aurait augmenté les quantités minimales de protéines totales (modèles #1) ou le pourcentage minimal de protéines animales dans les protéines totales (modèles #2) dans les régimes modélisés (dans le cas de contraintes actives). Une autre limite est que les données ne concernaient que la population adulte française et n'étaient pas les plus récentes disponibles. Il serait intéressant de reproduire l'approche en utilisant les données les plus récentes et d'autres populations, en particulier les enfants et les populations de pays ayant des patterns différents de sources protéiques dans leur alimentation (Halkjær et al., 2009).
En conclusion, cette étude a montré que, pour cette population adulte française, les plus faibles pourcentages de protéines animales dans les protéines totales compatibles avec l'adéquation nutritionnelle, varient de 45% à 60%, selon l'âge et le sexe, avec les plus fortes contributions nécessaires pour les populations âgées et les jeunes femmes, et ceci sans surcoût et en tenant compte a minima des habitudes alimentaires de ces populations, et en excluant le recours à des aliments enrichis ou à des suppléments. Les impacts environnementaux de ces régimes modélisés doivent être évalués afin de vérifier leurs avantages en termes de durabilité environnementale.

Nous remercions Florence Garcia-Launay et Joël Aubin, membres du groupe de travail MINIPROT, pour leurs suggestions et leur soutien. Les responsabilités des auteurs étaient les suivantes - FV, ND : conception de la recherche ; FV : réalisation des analyses ; FV, ND, DR : rédaction du premier draft; tous les auteurs ont contribué à la rédaction, ont lu et approuvé le manuscrit final, et assument la responsabilité de son contenu.

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