
Transporter une dizaine de vaches, un cheval de course ou des milliers de poussins ne réclame pas la même attention, le même savoir-faire, et, dans ce domaine, rien ne remplace l’expérience de l’homme au contact direct et quotidien des animaux. Face au stress du voyage, chaque espèce animale requiert, en outre, des soins particuliers, des connaissances spécifiques et du matériel adéquat. Les réactions des bêtes durant le transport dépendent de leurs caractéristiques physiologiques, de leurs conditions d’élevage et du comportement des convoyeurs. A défaut de pouvoir supprimer totalement le stress de l’animal et les maladies du transport, les différents intervenants ont le pouvoir d’en limiter les effets néfastes, c’est une question de moyens et de volonté.
Pour les animaux de rente, le transport représente une contrainte supplémentaire parmi toutes celles qu’impose l’élevage moderne. Il correspond à toute une série d’opérations qui vont inévitablement perturber leur rythme biologique et leur mode de vie. Les manipulations, le déplacement et le changement d’environnement entraînent des frustrations et des privations génératrices de stress. Brusquement extraits de leur « milieu naturel », les animaux vont devoir faire face à une situation nouvelle qui les effraie. Cette adaptation forcée se manifeste par une réaction de stress1.
En aviculture, le nombre de volailles transportées se compte en centaines de millions de têtes sans qu’il soit possible d’avancer des chiffres précis. L’ITAVI (Institut technique de l’aviculture) estimait le nombre de poussins de chair à 897 millions en 1994, dont 858 millions élevés en France. Le Grand Ouest concentre les trois quarts des abattages de volailles, qui s’effectuent principalement en Bretagne, première région avicole de l’Hexagone. Les diverses productions de volailles de chair — poulets, dindes, pintades, canards et lapins — s’organisent selon deux étapes nécessitant à chaque fois des transferts d’animaux : un transport conduisant les poussins du couvoir jusqu’au poulailler de chair et un transport des poulets «finis » (après engraissement) du poulailler jusqu’à l’abattoir.
Avec près de 2 millions de tonnes, la France se place au premier rang des pays producteurs de volailles et représente plus de 27 % de la production européenne. Cette proportion atteint 43 % pour la dinde. Le niveau des exportations place la France en tête des pays exportateurs : premier exportateur européen et deuxième exportateur mondial de poulets, premier exportateur mondial de dindes. 40 % de la production (800 000 tonnes) sont absorbés par les marchés extérieurs, essentiellement les pays tiers pour les poulets (60 % des volumes), en majorité l'Union européenne pour la dinde (70 %). Le secteur de l’exportation de volailles dégage un solde des échanges commerciaux supérieur à 6,2 milliards de francs par an. La consommation de volaille continue de progresser avec 22 kg par Français, soit près du quart de la consommation nationale totale de viande2.
Aprés incubation des oeufs, les poussins sont triés et conditionnés pour être expédiés chez les aviculteurs. L’opération de transport doit impérativement s’effectuer sous 24 à 48 heures, durée maximale d’autonomie des poussins qui puisent dans leurs réserves vitelliniques pour subsister. Lors du déplacement des poussins, les accouveurs surveillent trois paramètres vitaux à l’intérieur des véhicules :
— la température ambiante, comprise entre 25 et 30° C selon les espèces ;
— l’hygrométrie, de l’ordre de 85 à 90 % ;
— la ventilation, essentielle pour le renouvellement de l’air et l’extraction du gaz carbonique - le brassage de l’air est équivalent, par heure, à cent fois le volume de la caisse.
Des camions ont été spécialement conçus pour tenir compte de ces contraintes techniques et offrir des conditions de transport compatibles avec la survie des animaux. Les poussins, les dindonneaux, les pintadeaux et les canetons d’un jour sont préalablement placés dans des boîtes en carton ou en plastique, divisées en quatre compartiments contenant chacun 25 volatiles. Le fond des boîtes, recouvert de papier gauffré ou fibré, sert de substrat, tout en offrant un logement confortable aux « nouveaux-nés ». Cette surface antidérapante permet aux animaux de s’accroupir (pour les poussins) ou de se tenir debout (pour les dindonneaux) et évite les risques de grand écart ou d’étouffement par tassement. Munies d’ouvertures d’aération, les boîtes s’empilent sur des chariots adaptés aux dimensions du camion et suffisamment espacés les uns des autres pour permettre la circulation de l’air. Les lots ainsi constitués représentent des chargements homogènes allant de 10 000 à 100 000 jeunes gallinacés dont chacun pèse en moyenne 50 grammes.
Les livraisons s’effectuent au moyen de camions porteurs isothermes et dotés d’équipements sophistiqués :
— sondes de régulation de la température intérieure
— système de chauffage ou de refroidissment de l'air capté de l'extérieur
— diffuseur d'air par double plancher
— extracteurs d’air vicié répartis sur le pavillon
— buses de vaporisation de vapeur d’eau pour maintenir un degré hygrométrique constant.
Un ordinateur de bord installé dans la cabine contrôle l’ensemble de ces fonctions qui garantissent le bien-être des animaux. Sauf interruption accidentelle de la climatisation au cours du voyage, la mortalité se révèle pratiquement nulle. Elle intervient dans les trois premiers jours qui suivent la livraison et dépend principalement de l’état de santé des poussins avant leur conditionnement. Une planification adéquate des éclosions réduit les temps de chargement et minimise les risques d’accident. Cet aspect s’avère capital lors des expéditions par voie aérienne.
Le marché des poussins d’un jour — en fait des poulettes de reproduction d’un prix élevé — représente un volume d’affaires non négligeable pour les compagnies aériennes mais réclame une logistique sans faille afin de garantir l’arrivée à destination de « poussins frais ». Une véritable course contre la montre s’engage pour tenir des délais de transfert les plus courts possibles, sachant que les animaux ne sont ni abreuvés ni alimentés. Ils voyagent en conteneurs normalisés suffisamment rigides pour pouvoir être superposés, puis placés sur des palettes d’avion, elles-mêmes stockées en soute. Ainsi installés, les poussins peuvent supporter des trajets aériens de 36 heures sans soins particuliers. Cependant, les poussins demeurent des animaux fragiles, extrêmement sensibles aux écarts de température. La mortalité survient essentiellement pendant les temps d’attente au sol, lors du dédouanement et des contrôles vétérinaires.
Le succès de ce type d’opération de transport dépend surtout d’une parfaite coordination des moyens d’acheminements routiers et aériens, aussi bien au départ qu’à l’arrivée.
A l’issue de la période d’engraissement - 45 jours pour le poulet standard de 1,6 kg et 90 jours pour le poulet label de 2,2 kg - les volailles de chair sont ramassées et transportées vers l’abattoir qui planifie les enlèvements en fonction de ses besoins journaliers et du calendrier des mises en place (c’est-à-dire des dates d’arrivée des poussins en poulailler d’engraissement). Si le transport des volailles est du ressort de l’abattoir, le ramassage reste l’affaire des éleveurs.
L’enlèvement des volailles s’effectue toujours de nuit afin de limiter au maximum le stress des animaux, élevés par milliers dans de vastes poulaillers de 800 à 1 200 m2 (densité de 15 à 20 poulets par m2). Le chargement dans la demi-pénombre - lumière bleutée inférieure à 15 lux - facilite la saisie des volatiles très sensibles à l’intensité lumineuse. Exposés brutalement à la lumière extérieure, les poulets, mais surtout les pintades, ont des réactions de panique et s’entassent les uns sur les autres au risque de s’étouffer.
Réalisé manuellement, le chargement du camion s’effectue à l’extérieur du poulailler et comprend trois étapes :
— la « cueillette » qui consiste à attraper les volailles par une patte pour constituer des grappes de trois poulets ou de deux dindes dans chaque main. Si les animaux dépassent un certain poids (plus de 2,5 kg), il convient de les saisir par les deux pattes afin d’éviter les déhanchements. Les canards sont saisis par la base de l’aile ou par le cou mais jamais par les pattes dont les griffes coupent comme des lames de rasoir
— le portage des animaux de l’intérieur du poulailler jusqu’au camion qui impose de nombreux allers-retours
— la mise en cage des volailles réalisée généralement par le conducteur du camion.
Chaque nuit, des équipes de ramasseurs embarquent des milliers de volailles en un temps record. Les cadences moyennes s’établissent, pour une équipe de 10 personnes, à 6500 poulets, 4000 pintades ou 2000 dindes par heure. Ce travail, très pénible physiquement surtout lorsqu’il s’agit de dindes, est rémunéré et organisé par l’aviculteur qui fait appel à une main-d’œuve spécialisée, au voisinage ou à l’entraide familiale.
Depuis quelques années, la profession tente de trouver des solutions pour mécaniser les opérations de ramassage. Des procédés plus ou moins perfectionnés ont vu le jour :
— le rassemblement et l’évacuation par un tapis de sol
— l’aspiration et le transfert par bandes transporteuses
— la préhension des volailles par « balayage » mécanique3.
Toutes ces innovations apparaissent comme des alternatives possibles au ramassage manuel des volailles, véritable corvée pour les aviculteurs. Cependant, la tendance actuelle s’oriente vers des procédés minimisant les déplacements du personnel. Si l’introduction du camion à l’intérieur du bâtiment d’élevage crée trop de perturbations, il semble plus judicieux d’utiliser de grands conteneurs pouvant être transportés à l’intérieur du poulailler au moyen d’un chariot élévateur. Quel que soit le système adopté, la manipulation brutale des volailles peut occasionner des hématomes et, par conséquent, avoir des répercussions sur la qualité de la viande.
Aussitôt les opérations de chargement terminées, le camion reprend la direction de l’abattoir où il est pesé à son arrivée sur un pont-bascule. Le poids net des volailles se calcule en soustrayant au poids total la tare du camion (contenance moyenne par camion : 7 500 poulets, 3 000 dindes, 4 000 pintades, 4 000 canards, 7 000 lapins). Compte tenu des périmètres de ramassage relativement courts, le transport n’excède généralement pas les deux heures - la production de poulet label impose un parcours ne dépassant 100 km ou une durée de transport limitée à deux heures. En cas d’intempéries, les cages sont recouvertes de brise-vent qui protègent les animaux. La conduite du camion réclame une grande souplesse afin d’éviter l’entassement des volailles dans les cages, source de fractures et d’étouffements. Le jeûne précédant l’abattage permet aux animaux de mieux supporter le voyage et limite la production de fientes dans les véhicules et sur les aires de stationnement. Le taux de mortalité s’élève à 0,1 % mais dépend évidemment de la densité d’animaux en cage, de la distance parcourue et de l’expérience du conducteur.
Densités applicables aux transports de volailles en conteneurs :
— Recommandation n° (90) 6 du Comité des ministres aux Etats membres sur le transport des volailles, adoptée par le Comité des ministres le 21 février 1990, lors de la 434ème réunion des délégués des ministres, Conseil de l’Europe.
— Arrêté du 5 novembre 1996 relatif à la protection des animaux en cours de transport.
(TABLEAU 2)
Ces chiffres peuvent varier en fonction non seulement du poids et de la taille des oiseaux, mais aussi de leur état physique, des conditions météorologiques et de la durée probable du trajet.
1 Le mot « stress » est un emprunt (1950) à l’anglais stress, qui a d’abord signifié « épreuve, affliction», puis couramment « pression, contrainte, surmenage », et agression ». Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, 1993.
2. Chiffres extraits de la brochure du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l'alimentation.
3. P. Colin, «Le ramassage et le transport des volailles », l’Aviculture française, 1988.
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