
L’une des préoccupations majeures des industriels de la volaille est de fournir une viande de qualité constante. Les conditions avant abattage - à l’impact non négligeable - sont étudiées afin de proposer aux professionnels des recommandations en vue d’une meilleure homogénéisation des produits.
Aujourd’hui la maîtrise de la qualité technologique de la viande est devenue l’une des principales préoccupations des filières dinde et poulet de chair. Les exigences des professionnels de la transformation en terme de qualité ont évolué avec les modes de consommation, aujourd’hui tournés vers des produits pratiques et faciles à préparer. Les préoccupations des abatteurs/transformateurs se portent donc sur l’amélioration des qualités organoleptiques mais également technologiques des viandes.
Les professionnels sont actuellement confrontés à une forte hétérogénéité de la qualité technologique des filets, alors qu’ils cherchent à proposer des produits standardisés sur le marché. L’état actuel des connaissances laisse penser que le déterminisme de la qualité des viandes de volailles est multifactoriel. On sait ainsi que la qualité est à la fois influencée par des facteurs génétiques mais aussi environnementaux, notamment les stress subis par les animaux avant leur abattage (Debut et al., 2003; Beni et al., 2005). L’impact des différents facteurs ante mortem reste cependant mal estimé en conditions industrielles.
L’objectif de cette étude était d’une part (1) d’évaluer l’importance de la variabilité du pH ultime et de la couleur du filet chez des poulets standards, et d’autre part (2) d’appréhender l’importance des facteurs ante mortem dans cette variabilité, en se plaçant en conditions industrielles. L’objectif est à terme, après validation de ces premiers résultats par des approches expérimentales, de proposer des recommandations aux professionnels pour optimiser et standardiser la qualité des produits.
MATERIEL ET METHODES
Cette étude a été réalisée en condition terrain, ce qui implique que la répartition des animaux en fonction des facteurs environnementaux étudiés n’est pas maîtrisée. Elle a été réalisée avec la collaboration d’un industriel, et s’inscrit dans la continuité de celle de Gigaud et al. (200. Avec la collaboration du service planification de l’industriel, un planning hebdomadaire de 12 ramassages a été mis en place. Les facteurs de pré abattage étudiés étaient : la mise à jeun, la durée et les conditions de ramassage, la durée de transport, la durée d’attente avant abattage, les températures subies durant les phases de ramassage, de transport et d’attente.
Les animaux
Au total, 12 élevages de poulets de chair de même souche (ROSS PM3) ont été suivis. L’âge d’abattage des poulets était compris entre 39 et 43 jours. Les lots d’animaux provenaient de différents groupements.
Les enquêtes
Les enquêtes effectuées se présentaient en deux parties : la première composée d’un questionnaire destiné aux éleveurs, la deuxième basée sur une série d’observations et de mesures durant le ramassage des poulets. Pour un même élevage, les animaux étaient répartis entre 1 à 4 camions. Les mesures ont été réalisées par camion afin d’être plus précises. Les observations réalisées durant le ramassage concernaient le nombre de poulets par caisse, l’état de la litière, la nervosité des animaux, la durée du ramassage par camion. Les mesures d’ambiance concernaient la température et l’hygrométrie dans le bâtiment, au niveau des animaux.
Les mesures de qualité
La qualité de la viande a été évaluée sur environ 3500 filets (120 filets par camion) par les mesures de pH ultime (pHu) et de couleur. Le pHu a été mesuré avec un pH mètre (WWT - modèle: 330i) équipé d’une électrode de xérolyte en verre, adaptée à la viande. La couleur a été mesurée avec un spectrocolorimètre Miniscan (Hunterlab, Reston, VA). Trois paramètres ont été mesurés dans le système trichromatique CIELAB : la luminance ou réflectance (L*), l’indice de rouge (a*) et de jaune (b*). Ces mesures ont été réalisées dans la salle de découpe de l’abattoir, 24 heures après l’abattage.
Analyses statistiques
Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel SAS® (SAS® 9 Institute, 1999) en utilisant les procédures UNIVARIANTE pour les statistiques descriptives, CORR pour l’analyse des corrélations et GLM pour tester l’effet sur la qualité des conditions environnementales ante mortem analysées sous forme de classes (par exemple, 3 classes ont été considérées pour la durée de transport subie par les animaux). Si ces classes ont été réalisées a posteriori à partir des données de l’enquête, nous nous sommes assuré que les différents facteurs étudiés n’étaient pas totalement confondus et qu’un effectif suffisant dans chaque classe (au minimum 100 filets/classe) était observé. Dans le cas d’un effet significatif, les moyennes ont été comparées par le test de Scheffé en tenant compte de la plus petite différence entre les moyennes (pdiff).
RÉSULTATS
Les statistiques descriptives pour les variables pHu, L*, a*, b* sont décrites dans le tableau 1. On observe un pHu moyen de 5,83 et un écart-type de 0,23 qui indique une grande variabilité entre ces valeurs. On retrouve également cette importante variabilité pour les paramètres de couleur, L*, a* et b*.
Corrélations entre les paramètres de qualité
Une forte corrélation négative existe entre le pHu et la luminance (r = -0,64). On observe également deux autres corrélations négatives significatives, mais plus modérées : la première entre pHu et composante b* (r = -0,29), la deuxième entre luminance (L*) et composante a* (r = -0,24). Ces observations confirment les résultats obtenus par Gigaud et al. (2006) en condition industrielle et par de nombreux autres auteurs en conditions expérimentales.
Variabilités intra et inter lot des critères de qualité
La dispersion observée au sein d’un même lot est importante et pourrait être liée à des facteurs génétiques ou d’élevage. En effet, la variabilité intra lot des valeurs de pHu est très marquée avec des valeurs allant de 5,16 à 6,61, soit une différence de 1,44 unités pH. La plus petite différence de pHu au sein d’un lot est déjà relativement élevée puisqu’elle est de 0,67 unité de pH, soit des valeurs de pHu allant de 5,57 à 6,22. Concernant la luminance (L*), on observe la même tendance avec des valeurs qui s’étendent de 39,5 à 62,9 soit une différence de 23,4 points. Ces résultats soulignent au sein d’un même lot la forte variabilité de couleur des filets, allant du très sombre au très clair. Cette source de variabilité est très pénalisante pour les industriels qui souhaitent fournir un produit de couleur homogène.
Il existe également une variabilité inter lot non négligeable sur les différents paramètres de qualité. L’analyse de la variabilité des moyennes inter lot révèle une différence significative entre les différents lots pour les valeurs du pHu, mais aussi de couleur (L*, a*, b*). Les valeurs moyennes de pHu entre les lots s’étalent de 5,62 à 6,07 soit un écart de 0,45 point. Quant aux valeurs moyennes de luminance elles s’étendent de 47,5 à 54,0 soit 6,9 points de différence. Ces résultats pourraient refléter l’influence de facteurs environnementaux sur ces paramètres, telle que la durée de mise à jeun, la durée du ramassage ou du transport.
Effet de la durée de mise à jeun
Les filets ont été répartis en 6 classes en fonction de la durée de mise à jeun (9 à 25 heures). Le tableau 2 montre un effet significatif de la durée de la mise à jeun sur tous les paramètres de qualité. Lorsque la durée de mise à jeun augmente, on observe une augmentation du pHu. Toutefois il n’y a pas de différence significative du pHu entre 9 et 19 h de mise à jeun. C’est au-delà de 19 h que l’on constate une différence significative : une valeur de pHu de 6,08 est en effet observée pour les filets de poulets ayant subi une mise à jeun supérieure à 25h.
Logiquement, les valeurs de luminance diminuent quand la durée de mise à jeun augmente. On note dans ce cas une diminution significative des valeurs de L* au-delà de 16 h de mise à jeun.
En ce qui concerne les paramètres de couleur a* et b*, on ne voit pas apparaître de tendance marquée. On observe cependant que pour des durées de mise à jeun comprises entre 17-19 et 24- 25 heures, les filets sont significativement plus rouges.
Effet de la durée du ramassage
La durée du ramassage peut être variable selon l’élevage et l’effectif des ramasseurs. Dans le cadre de cette étude, les durées de ramassage enregistrées par camion étaient comprises entre 30 min et 1 h 15 pour un effectif de 6 200 poulets.
L’analyse des résultats montre un effet significatif de la durée du ramassage sur les paramètres de qualité (tableau 3). On constate en effet que le pHu diminue lorsque la durée du ramassage augmente. À l’inverse, la luminance augmente avec la durée du ramassage. En ce qui concerne le paramètre a*, il diminue avec l’augmentation de la durée du ramassage. En revanche, le paramètre b* diminue entre 46 et 59 min pour ensuite augmenter.
Effet de la durée du transport
Les durées de transport enregistrées étaient comprises entre 50 min et 3h 15. On observe un effet significatif de la durée de transport sur le pHu, avec une augmentation au-delà de 2h30 de transport (tableau 4). En ce qui concerne le paramètre b*, on note qu’il augmente à partir d’ 1 h 30 de transport. La durée de transport n’a en revanche aucun effet apparent sur la composante a*.
DISCUSSION
Durée de mise à jeun
Alors que des études expérimentales (Kotula et al., 1994; Edwards et al., 1999) rapportent que la mise à jeun n’a pas d’effet sur le pHu ou la concentration en glycogène du pectoralis cette étude menée en milieu industriel montre un effet très significatif de la durée de mise à jeun sur les paramètres de qualité. Nos résultats continuent ceux rapportés par l’étude de Gigaud et Bern (2006).
Chez le poulet, le pH auquel se stabilise la viande est étroitement lié au potentiel glycolytique musculaire (Debut, 2004). Nos résultats semblent donc indiquer que les réserves en glycogène sont suffisantes pour permettre une amplitude de chute du pH normale quand la mise à jeun a lieu entre 9 et 19h avant l’abattage. Au-delà, les niveaux élevés de pHu que nous avons observés suggèrent que les animaux ont puisé dans leurs réserves en glycogène musculaire avant leur mort.
Selon nos résultats, une durée de mise à jeun trop longue augmente le pHu et diminue la luminance. En conséquence, elle conduit à un risque plus important d’observer des filets ayant les caractéristiques des viandes de type DFD (Dark Finn and Dry). Ce type de viandes d’aspect sombre, fermes et sèches, pose des problèmes de conservation, puisqu’elles sont plus sensibles aux développements bactériens.
Durée du ramassage
Le ramassage tient compte des manipulations, de la mise en caisse et du convoyage des animaux vers le camion. Peu d’études se sont intéressées à un effet du ramassage sur la qualité technologique de la viande de poulets. Durant cette phase, les animaux sont pourtant attrapés par les pattes et ramenés vers les conteneurs dans cette même position. Kannan et Mench (1996) rapportent en effet que cette position très stressante entraîne le redressement des poulets et des battements d’ailes plus ou moins importants et longs, qui sollicitent les muscles du filet très glycolytiques (Debut et al., 2005).
De plus selon l’état de la litière, le convoyage des conteneurs vers le camion peut être plus ou moins difficile et augmenter ainsi l’inconfort et probablement le niveau de stress des animaux.
Selon notre étude, l’allongement de la durée de ramassage induit une diminution du pHu de la viande qui pourrait suggérer des réserves énergétiques préservées chez les animaux ramassés sur une plus longue période. L’évaluation de l’état de stress et de la réactivité des animaux en fonction de la durée et de ce fait des conditions de ramassage serait utile pour expliquer les variations de qualité observées dans notre étude. En effet, bien que cela n’ait pu être évalué précisément, il semble que le ramassage est d’autant plus stressant que sa durée est courte.
Durée de transport
Le transport peut selon les conditions et la durée avoir un effet plus ou moins important sur la qualité technologique de la viande. Selon la durée du transport certains auteurs ne rapportent aucun effet sur les indicateurs de qualité alors que pour d’autres ils peuvent varier. Debut et al. (2003) n’observent pas d’effet défavorable d’une durée de transport inférieure à 2 heures sur la qualité des viandes.
Cashman (1989) rapporte, quant à lui, que des poulets standards transportés pendant 2 h présentent une viande plus pâle (avec un pHu acide) par rapport à des poulets non transportés. En revanche, selon Owens et Sams (2000) les pH initiaux et ultimes sont significativement plus élevés et la luminance plus faible pour des animaux transportés pendant 3 h. Plus récemment, Gigaud et al. (2006) ont montré que le pHu augmente de manière significative au-delà de 2heures de transport. Nos résultats sont en adéquation avec ces deux dernières études.
Kannan et al. (1997) observent une augmentation du niveau de corticostérone (signe de stress) pour une durée de transport comprise entre 2 et 4 h. Warris et al. (1999) rapportent quant à eux que le transport avant abattage est une source d’épuisement pour les oiseaux, qui se traduit par une diminution des réserves hépatiques et musculaire en glycogène mais également par un ralentissement de l’acidification du muscle post mortem. En défmitive ces résultats semblent indiquer que l’effet associé du stress et de l’épuisement des réserves en glycogène pourrait expliquer les niveaux de pHu plus élevés au-delà de 2h30 de transport.
CONCLUSION
Notre étude a permis de montrer que de nombreux paramètres avant la mort de l’animal, notamment la durée de mise à jeun, le ramassage, le transport, ainsi que l’attente à l’abattoir, sont susceptibles d’influencer la qualité. Au niveau métabolique, ces différents effets pourraient être liés à l’utilisation plus ou moins importante du stock initial de glycogène du muscle avant la mort entraînant des niveaux de pHu plus ou moins élevés.
Ces premiers résultats indiquent donc que les stress environnementaux subis par l’animal peuvent en partie expliquer la variabilité des indicateurs de qualité observée par les industriels. Il est maintenant indispensable de valider ces premières observations en évaluant l’impact de chacun des facteurs de variation identifiés dans des conditions mieux contrôlées. Ce type d’expérimentation est d’ores et déjà engagé en collaboration avec des industriels de la filière. A l’issu de ces études, il pourra alors être envisagé d’établir des recommandations spécifiques dans le but de diminuer l’hétérogénéité et d’optimiser la qualité des filets de poulets.
REMERCIEMENTS
Cette étude a bénéficié d’un soutien financier de l’Ofival.
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