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La revue française de la recherche en viandes et produits carnés  ISSN  2555-8560

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De l'arbre et du cochon

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Les systèmes d'élevage agroforestiers pour une production porcine durable et de qualité

Cet article se propose d’identifier les avantages des systèmes d'élevage agroforestiers pour la production porcine de plein air, en matière de qualité de la viande, de durabilité de l'activité, d'optimisation et de diversification de la production, sans oublier les aspects relatifs au bien-être et au confort des animaux.

porc noir Consortium du Noir de Bigorre

INTRODUCTION

Qu'est-ce que l'agroforesterie? Fondamentalement, l’agroforesterie désigne une mise en valeur du sol fondée sur une association de ligneux et de cultures ou d’animaux sur une même surface afin d’obtenir des produits ou des services utiles à l’homme (Torquebiau, 2000). Son intérêt réside dans les interactions agronomiques, écologiques (amélioration du sol, modification du micro-climat, augmentation de la biodiversité fonctionnelle), et économiques (amélioration des revenus, diversification des productions, etc.) créées entre les arbres et les plantes cultivées ou les animaux. Les systèmes agroforestiers ne sont pas nouveaux et des exemples très connus sont ceux de la Dehesa espagnole et de son équivalent portugais le Montado, qui existent depuis le Moyen-âge et perdurent aujourd’hui ; ces milieux occupent une place importante dans l’élevage méditerranéen et représentent respectivement 5 800 000 ha et 500 000 ha. Dans cet écosystème unique façonné par l’homme où pâturent les animaux d’élevage, l’arbre y est un élément à part entière du système de production et il est géré, conduit et taillé (Joffre et al., 1999).

L’agroforesterie innovante d’aujourd’hui repose sur toutes les formes d’association entre arbres et production végétale et/ou animale sur une même parcelle (alignements, haies, bords de route, de parcelle ou de cours d’eau, sylvopastoralisme, pré-vergers...). Elle est un maillon essentiel de la durabilité et de la performance des écosystèmes agricoles. Elle repose sur des principes simples, peu coûteux et universels, inspirés du modèle de la forêt et de l’arbre frugal, qui consomme peu mais produit beaucoup. Les arbres ne sont plus à considérer comme une contrainte mais bien comme une opportunité au regard de tous les biens et services rendus. L’agroforesterie est économe en énergie, elle maximise la photosynthèse et permet en conséquence aux sols vivants de fixer durablement le carbone.
L’arbre agroforestier permet tout à la fois de produire de la biomasse, d’amortir le changement climatique par stockage du carbone, de protéger les cultures et les animaux des coups de chaud ou de froid, du vent, de protéger le sol de l’érosion et de réduire les impacts environnementaux liés à l'intensification des modes de production (appauvrissement des sols, développement des parasites et maladies...).

I. DE HAUTS NIVEAUX DE SERVICES POUR DES PRODUITS DE QUALITE

I.1. Des animaux protégés et moins stressés

On ne compte en France que 5% d'élevages porcins "alternatifs" (bio, fermiers, agro-sylvopastoral, etc.), dont moins de 1% en plein air. Ces modes d'élevages sont encore très marginaux, bien que leurs bénéfices pour le bien-être animal et la qualité des produits comme les jambons soient reconnus (Chevillon P. et al., 2005, Konsted et al., 2013). La marge de progression pour développer ces systèmes durables est donc immense. Les systèmes méditerranéens traditionnels de production porcine sont des formes d'élevage qui ont prouvées leur efficacité. L'élevage traditionnel de porcs ibériques dans la Dehesa espagnole, région du centre-ouest de l'espagne où est produit le fameux jambon "pata negra", en est sans doute la "catégorie" la plus connue et recherchée en Europe. Le terme "pata negra" est parfois utilisé à tort ou à des fins commerciales, et il ne faudrait parler que de porcs Iberico puro de Bellota, élevés en Montanera et vendus sous signes officiels de qualité DOP (équivalent espagnol de l’Appellation d’Origine Contrôlée - AOC). A ce titre et pour mieux reconnaître et valoriser des pratiques d’élevage vertueuses, de nouvelles normes d’étiquetage ont vu le jour en 2014. La Dehesa, à l'instar du Montado portugais, est un milieu ouvert de près de 4 millions d'hectares où poussent des arbres clairsemés (des chênes verts et lièges, essentiellement) et des plantes herbacées, et où pâturent des élevages mixtes (porcins, ovins, bovins).
Les systèmes d'élevage porcins les plus adaptés pour des jambons de qualité sont les systèmes de plein air, où les animaux disposent souvent d'abris – des cabanes paillées en tôle ou en bois – et sont élevés à des densités "raisonnables". Parmi eux, les systèmes qui intègrent l'arbre (en parcs clôturés ou en sous-bois) offrent des conditions "naturelles" qui permettent aux animaux d'exprimer pleinement leurs besoins comportementaux : bouger, communiquer, s’occuper, chercher leur nourriture dans l’herbe ou dans le sol, ne pas souffrir des excès climatiques. Les arbres apportent nourriture, tranquillité, ombrage et protection aux animaux. Ils sont une véritable aubaine pour les animaux qui viennent s’y réfugier pendant les grosses chaleurs. On sait en effet qu'un fort ensoleillement affaiblit les animaux, et amoindrit leur vigueur musculaire. La présence d'arbres ou d'arbustes agencés sous forme de haies protège également les jeunes du froid et diminue les taux de mortalité. Les porcs bénéficient d’une plus grande liberté de mouvements et de plus d'interactions sociales. Moins stressés, ils sont aussi moins sensibles aux maladies et moins enclins aux morsures, voire au cannibalisme. L'agroforesterie offre un espace enherbé et jalonné d'arbres qui, enfin, les rassurent.

I.2. Une alimentation variée pour une viande d'exception

L'accès à un parc arboré permet aussi d'exprimer le potentiel du terroir. L'arbre fournit des aliments naturellement diversifiés (glands, châtaignes, noisettes, fruits, feuilles, bourgeons, herbes, insectes, vers, etc.). Les porcs en engraissement sur parcours (sous-bois, landes, prairies, agroforesterie intraparcellaire) disposent de davantage de ressources alimentaires grâce à la présence d’éléments arborés : une herbe plus tendre, des racines, des châtaignes, des glands et des faînes, des fruits, des insectes, des vers de terre. Cette alimentation variée est à l’origine d’une viande de meilleure qualité, tant pour l’aspect qualitatif que nutritionnel. Une consommation accrue de glands (la glandée) pendant la période finale d’engraissement confère à la viande un goût et un gras intramusculaire (persillage) très appréciés des cuisiniers et des gastronomes. On constate ainsi une amélioration des performances de croissance et une qualité nutritionnelle supérieure des viandes (Kongsted et al., 2013), due également à l'herbe située au pied des arbres ou des haies qui est plus appétante et grasse, et qui est aussi plus riche en minéraux et acides gras. Avec les conditions de production, le potentiel génétique apparaît comme un facteur essentiel de la qualité sensorielle des viandes (Lebret et al., 2011). Les races rustiques, traditionnellement élevées en plein air sont aussi les plus adaptées aux systèmes d'élevage agroforestiers.

Le porc, un animal de la forêt
(tiré de Pastoureau M., 2009)

Le porc est l'un des animaux dont l'élevage s'est propagé le plus vite et le plus abondamment à partir de l'apparition de l'agriculture. La facilité à le nourrir, l'abondance de sa viande et de sa graisse, et sa reproduction rapide l'expliquent en grande partie. Au Moyen-Âge, tous les porcs d'un même village étaient réunis en troupeau et placés sous la houlette d'un porcher commun qui les menait au paisson ou à la glandée dans la forêt dès l'arrivée de l'automne, lorsque la végétation se faisait moins dense et la nourriture plus rare. Le porc médiéval est véritablement un animal de la forêt. Il y trouve en effet de quoi se nourrir en abondance : herbes, feuilles, baies, racines, champignons, tubercules, vers, larves et petits animaux. Mais ce qu'il préfère, ce sont les faines qu'il trouve sous les hêtres, les châtaignes et surtout les glands tombés des chênes (d'où le nom de glandée). A partir du XVIe siècle, le déboisement et la disparition de nombreuses forêts chassent progressivement les porcs de la forêt; c'est le début de l'élevage des porcs dans des bâtiments en dur, les porcheries, et avec lui le passage à une alimentation basée sur les céréales et surtout la pomme de terre. L'élevage en porcheries s'imposera progressivement, jusqu'à l'avènement des premières formes d'élevage industriel au XIXe siècle où il n'est plus question de pâture ni de glandée.
De nos jours, les pratiques d'élevage porcin de plein air offrant aux animaux un accès à un parc arboré (sous-bois ou parc agroforestier) sont très largement minoritaires. Pourtant, les bénéfices sont avérés, tant pour la qualité des produits d'élevage que pour l'entretien des sous-bois. En effet, le cochon rentabilise la forêt puisqu'il s'en nourrit sans la détruire, contribuant au contraire à son éclaircissement et le rendant ainsi exploitable. 


Figure 1 : Porcs pâturant sous une trogne de chêne

fig1 340
Source : David Dellas

 

II. L'AGROFORESTERIE POUR UN ELEVAGE PORCIN DURABLE ET VERTUEUX

Les parcelles et parcs d'élevage agroforestiers sont multifonctionnels : ils fournissent du bois et des produits agricoles, en même temps que des produits d'élevage de qualité. Associés à une bonne couverture végétale (herbacées, cultures intercalaires...), les arbres protègent les sols, les eaux, la faune sauvage et diversifient les paysages ruraux. Contrairement aux idées reçues, l’arbre n’est pas un obstacle physique ou physiologique pour les cultures non plus. L'arbre constitue le partenaire idéal et indispensable d’une agriculture et d'un élevage responsables, productifs et durables et est un pilier essentiel pour atteindre le double objectif d'une production suffisante (alimentation, énergie) et d'une protection de l’environnement.
A l’échelle du système arbre/culture, l'arbre permet d'optimiser la production alimentaire sur l’exploitation. Les arbres agroforestiers développent un système racinaire en profondeur, de par la présence des cultures ou prairies. Ils ont ainsi la capacité de remonter les nutriments et l’eau des couches profondes et de structurer le sol. Par ailleurs, ils créent un microclimat et limitent l’évapotranspiration. Grâce à tous ces effets, on constate souvent une amélioration de rendements des cultures sous-jacentes (céréales par exemple) ainsi qu’un décalage dans le dessèchement des prairies de plusieurs semaines en période d’été. Ainsi, les arbres permettent d’allonger la période d'activité de pâturage des animaux.
A l’échelle de l’exploitation et du territoire, l'arbre permet de compléter un revenu et de fournir de la biomasse, de préserver la fertilité des sols et la biodiversité, de stocker du carbone, etc. En agroforesterie, on utilise des feuillus précieux (noyers, merisiers, alisiers, cormiers, etc.) pour produire du bois d’œuvre de qualité. Les haies et les arbres têtards peuvent servir à fournir du bois énergie, du Bois Raméal Fragmenté qui pourra être utilisé comme litière, du fourrage... Les arbres fruitiers procurent des fruits et de l’ombre aux animaux. Autant de possibilités de diversifier les types de production et ainsi les sources de revenu agricole. On utilise des essences locales, adaptées aux conditions du milieu. Toutes les étapes d'un projet agroforestier (installation, entretien, récolte) sont facilement mécanisables.
L'élevage agroforestier permet de recréer une fertilité et une biodiversité in situ : arbres, couverts végétaux, réduction du travail du sol sont autant d’éléments qui recréent une fertilité in situ et des habitats semis naturels pour une flore et une faune sauvage. Ils participent à la restauration d’une continuité écologique et permettent de limiter l’usage d’intrants. Les arbres sont également des puits de carbone et permettent d’atténuer les effets du changement climatique en recapitalisant les sols en carbone. Si l'arbre est bénéfique aux animaux, ces derniers ont aussi un impact positif sur la croissance et le développement des ligneux. En effet, par leur action de pâture et de fouissage, les cochons labourent, aèrent et fument la terre sous les arbres ; contribuant ainsi à améliorer leur croissance.
L'agroforesterie enfin permet de donner une image de qualité aux filières et de répondre aux principales attentes des consommateurs, qui s'articulent autour de quatre éléments : la sécurité alimentaire, les qualités organoleptiques des aliments, les problèmes environnementaux et la question du bien-être animal (Rainelli, 2001). Le bien-être apporté aux animaux, ainsi que la qualité des conditions d’élevage, tant pendant les périodes de naissage, d’engraissement ou d’abattage sont des atouts certains apportés par l'agroforesterie pour valoriser l’image de l’exploitation et des produits qui en sont issus. Par ailleurs, les services environnementaux rendus par les arbres ainsi que leurs nombreux produits (bois, fourrage, fruits, BRF...) sont également des critères importants. Ainsi, plusieurs filières françaises bénéficient aujourd’hui d’une notoriété et d’une image de qualité, telles que le "Porc noir de Bigorre" dans le piémont des Pyrénées Centrales et le Porc Nustrale en Corse, toutes deux bénéficiant de plusieurs AOC.

Figure 2 : Porcs pâturant sur des parcs agroforestiers multifonctionnels

fig2 340
Source : David Dellas

 

CONCLUSION

Les systèmes d'élevage agroforestiers méritent donc toute notre attention. Il existe un intérêt évident à faire progresser ces modes d'élevage, en tirant les enseignements des systèmes pluri-centenaires de la Dehesa et du Montado et en les adaptant, pour tirer pleinement parti de tous les biens et services que l’agroforesterie peut rendre. Ces bénéfices concernent non seulement la qualité des viandes produites mais aussi celle de nos territoires pour la société dans son ensemble. L'arbre est un outil de production et d’aménagement profitable à toutes les échelles, sur tous les sols et pour tous.

 

Références :

Chevillon, P., Vautier, A., Guillard, A.-S., Gilbert, E., Lebret, B., Terlouw, C., Foury, A., Mormède, P. (2005). Modes d'élevage alternatifs des porcs : 1. Effets sur les performances de croissance et les qualités des carcasses et des viandes et l'aptitude à la transformation en jambons cuits et secs. 37èmes Journées de la Recherche Porcine, Paris, France, 81-90.
Dupraz C. et Liagre F. (2008). Agroforesterie. Des arbres et des cultures, France Agricole, 166-170.
Gandemer, G., Pichou, D., Bouguennec, B., Caritez, J.C., Berge, Ph., Briand, E., Legault, C. (1990). Influence du système d'élevage et du génotype sur la composition chimique et les qualités organoleptiques du muscle long dorsal chez le porc. Journées de la Recherche Porcine en France, 22, 101-110.
Joffre R, Rambal S, Ratte JP. The dehesa system of southern Spain and Portugal as a natural ecosystem mimic. Agroforest Syst 45, 57-79.
Kongsted, A.G.; Therkildsen, M. and Hermansen, J.E. (2013). Free-range growing pigs – effect of feeding strategy and genotype on animal behaviour, performance and meat quality. Workshop at: Scientific Workshop on Organic Pig Production, Hovborg Kro [Unpublished].
Lebret B., Damon M., Gondret F., Lefaucheur L., Louveau I., Prunier A., Bonhomme N., Ecolan P., Wyszynska-Koko J., Lepetit J., Meteau K., Barthelemy S., Pollet P-Y. Et Dourmad J-Y. (2011). Variation de la qualité de la viande selon la race : Basque ou Large White et le système d'élevage : conventionnel, alternatif ou extensif. Journées de la recherche porcine, 43.
Mourot, J., Lebret, B. (2009). Modulation de la qualité de la viande de porc par l'alimentation. INRA Productions Animales, 2009, 22, 1, 33-40.
Pastoureau M. (2009). Le cochon. Histoire d'un cousin mal aimé. Editions Gallimard, collection Découvertes Gallimard, 2009, 160 p.
Rainelli P. (2001). L'image de la viande de porc en France : attitudes des consommateurs. INRA, Le courrier de l'environnement, n°42.
Torquebiau (2007). L'agroforesterie. Des arbres et des champs. Editions L'Harmattan, col. Biologie, Ecologie, Agronomie, 151 p.

 

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